04: Pampelune à Puente La Reina

Sous les gigantesques éoliennes

DIDIER HEUMANN, ANDREAS PAPASAVVAS

 

Nous avons divisé l’itinéraire en plusieurs sections, pour faciliter la visibilité. Pour chaque tronçon, les cartes donnent l’itinéraire, les pentes trouvées sur l’itinéraire et l’état du Camino. Les itinéraires ont été conçus sur la plateforme “Wikilocs”. Aujourd’hui, il n’est plus nécessaire d’avoir des cartes détaillées dans votre poche ou votre sac. Si vous avez un téléphone mobile ou une tablette, vous pouvez facilement suivre l’itinéraire en direct.

Pour ce parcours, voici le lien :

https://fr.wikiloc.com/itineraires-randonnee/de-pamplona-a-puente-la-reina-gares-par-le-camino-frances-33640432

Ce n’est évidemment pas le cas pour tous les pèlerins d’être à l’aise avec la lecture des GPS et des cheminements sur un portable, et il y a encore en Europe de nombreux endroits sans connexion Internet. De ce fait, vous pouvez trouver sur Amazon un livre qui traite de ce parcours. Cliquez sur le titre du livre pour ouvrir Amazon.

Le Chemin de Compostelle en Espagne. VIIA. De St Jean-Pied-de-Port à León par le Camino francés

Si vous ne voulez que consulter les logements de l’étape, allez directement au bas de la page.

On vous a raconté brièvement les débuts de l’histoire de la Navarre dans l’étape précédente, en arrivant à Pamplona. Alors, revenons avec un peu plus de détails, après Charlemagne dans une région où se sont affrontées de nombreuses puissances, dont la France.

Au IXème siècle, Louis I Le Pieux ou le Débonnaire, fils de Charlemagne, est empereur d’Occident. Il entre en conflit avec les gens de la Navarre, mais il est battu encore une fois à Roncevaux. Pamplona devient un royaume, qui connaît son apogée avec Sanche III le Grand au début du XIème siècle. A cette période, le royaume de Navarre inclut presque tout le nord-est de l’Espagne, et ses concurrents sont la Castille et l’Aragon. Suivent alors des années de conflit entre la Navarre et l’Aragon pour le contrôle du pays. Plus tard, la France aussi entre en jeu. Tout ceci n’est pas qu’une histoire de guerres, mais aussi de mariages, où les régions passent d’un souverain à l’autre. A la fin du XIIIème siècle, le mariage de Jeanne I de Navarre avec Philipe IV unit momentanément la couronne de Navarre à celle de France. Mais cela ne dure pas longtemps. Pendant deux siècles les guerres civiles vont se succéder ici entre la Navarre, l’Aragon et la France.

Mais, il ne faut pas oublier la Castille dans toute cette affaire. Au début du XVIème siècle, Ferdinand le Catholique, roi d’Aragon et de Castille, s’empare de la Haute Navarre, le pays où Pamplona et Estella, où passe le chemin, sont les têtes de liste. Il s’empare aussi d’une partie de la Basse Navarre, où St Jean-Pied-de-Port est un fief important à cette époque. Ce qui unit les deux Navarre, en fait, c’est le basque. Arrive alors Henri II, roi de Navarre, qui avec l’aide des français reprend la Navarre aux castillans. Il installe sa capitale en France, à St Palais, à deux pas de St Jean-Pied-de-Port.

C’est sur ces entrefaites qu’entre en jeu un personnage considérable, Charles Quint. Car l’Espagne n’a pas toujours été l’Espagne. Charles-Quint (1500-1558) contrôlait de nombreux territoires. Voulez-vous les titres de ce potentat ? Charles de Habsbourg, prince hollandais, était prince des Pays-Bas, archiduc d’Autriche, roi de Castille, d’Aragon et de Naples, roi d’Espagne, empereur du saint Empire germanique, plus une autre bonne dizaine de possessions. L’Espagne était alors divisée en deux royaumes appartenant à Charles Quint, le royaume de Castille et le royaume d’Aragon. La Navarre essayait de faire son nid entre elle et la France. L’ennemi Numéro un de Charles Quint est Fançois Ier, le roi de France. Alors, Charles Quint envoie ses troupes pour la conquête de la Basse Navarre. Henri II et François Ier sont fait prisonniers à Pavie. Après ces épisodes, tout se résume à une histoire de lits et de mariages. Henri II s’évade et épouse la sœur de François Ier, puis reprend St Jean-Pied-de-Port. Pour faire bonne figure, François Ier épouse la sœur de Charles Quint. Qu’elle est belle l’histoire des rois quand tout se passe dans les alcôves ! Alors, le sort de la Navarre est momentanément réglé. Charles Quint abandonne l’idée de reconquérir la Basse-Navarre. Henri II se contente désormais de la Basse Navarre. La Haute-Navarre et Pampelune restent espagnoles.

Mais, ne croyez surtout pas qu’on va en rester là. Jean d’Albret, la fille de Henri II épouse Antoine de Bourbon, un prince français, créant à nouveau un risque pour la Navarre. Alors Charles Quint fait proclamer son fils Philipe, roi de Navarre. C’est à ce dernier, devenu roi par la suite qu’on doit les forteresses de Pampelune. Du côté français, Antoine de Bourbon et Jeanne d’Albret donneront naissance à Henri III de Navarre, qui deviendra Henri IV, le fondateur de la dynastie des Bourbons. Henri IV, qui se dit roi de France et de Navarre, déclare la guerre à l’Espagne en 1595. Il la perd et doit signer la paix, perdant définitivement la Navarre espagnole, ne conservant que la Basse Navarre et le Béarn. Toutefois, Louis XIII, fils de Henri IV et ses successeurs ajouteront toujours le titre de roi de Navarre à celui de roi de France.

La Navarre est maintenant séparée en deux entités. Il y a d’une part la Haute Navarre, avec un vice-roi qui représente l’Espagne, et d’autre part, la Basse Navarre, française, un ensemble de petites vallées sans grande importance. Suivent alors de continuels conflits entre les deux pays, qui dureront pendant près de deux siècles. En 1700, Charles II, roi d’Espagne, et donc aussi de Haute-Navarre, meurt sans enfants. Le dauphin Louis de France, fils de Louis XIV et de Marie Thérèse, sœur de Charles II, est donc, par filiation, susceptible de réunir sur sa personne les royaumes de France et d’Espagne et aussi de réunifier le royaume de Navarre. Mais le dauphin ne veut pas de l’Espagne, se réservant pour le trône de France, qu’il n’aura jamais mourant avant son père Louis XIV. Le dauphin cède ses droits à son fils qui deviendra Philippe V d’Espagne, après une guerre de succession en Espagne. La Haute-Navarre demeure un soutien fidèle de Philippe V tout le temps du conflit. Pour récompenser cette fidélité Philippe V leur fait des faveurs supplémentaires, en confirmant les “fueros“, les privilèges locaux. On comprend mieux encore aujourd’hui les différents privilèges et l’autonomie relative de certaines régions d’Espagne.

À la mort de Louis XIV en 1715, la division du royaume de Navarre est définitive. Il y aura désormais deux royaumes de Navarre : le royaume espagnol de Haute-Navarre, et le royaume de Navarre en Basse-Navarre. Et c’est tout de même un paradoxe. Les souverains français et espagnols, sont de la même famille tous issus de Louis XIV. On vous racontera la suite plus tard dans notre voyage, les querelles entre la Navarre et la Castille voisine.

On vous dira à Pampelune que le Chemin de Compostelle c’est l’affaire de Sanche III le Grand, roi de Pampelune au début du XIème siècle. Des rues, des places et des “albergue” portent son nom. Avant lui, le chemin passait de Roncevaux à Pampelune, puis plus au nord vers Burgos. Mais, pour mieux contrôler son royaume, il dévia un peu le chemin vers le sud, profitant d’anciennes voies d’origine romaine, le faisant passer par Puente la Reina, Estella, Logroño, Nájera, Santo Domingo de la Calzada et Burgos. L’itinéraire était plus court et évitait les passages étroits ou les gorges, facilitant ainsi le passage des pèlerins, des marchands, et accessoirement de ses armées. Vous aurez sans doute un peu de doute à ce sujet, après avoir affronté la montagne de l’Alto del Perdón, la montagne du Pardon. Sans doute que le chemin romain préférait la plaine à la haute colline et à ses éoliennes. Peu importe pour nous ! Le chemin vers les éoliennes est grandiose. En fin de journée, vous rejoindrez le pont le plus célèbre du chemin, le pont roman de Puente la Reina, qui selon les historiens ou la légende, aurait été commandité par Mayor, l’épouse du grand roi.

Difficulté du parcours : Les dénivelés (+433 mètres/-522 mètres) sont assez importants pour une étape en Espagne, qui sont la plupart du temps, peu élevés. En fait, il n’y a qu’une difficulté, c’est l’Alto del Perdón, une longue montée vers les éoliennes, mais surtout une descente casse-pattes au possible dans le pierrier. Tout le reste est presque de la balade.


Dans cette étape, l’avantage est aux chemins sur les routes, comme c’est l’usage en Espagne. S’il y a de la route, c’est surtout pour sortir de Pamplona. En Espagne, en dehors des villages et des villes, les routes goudronnées, pour la grande majorité, comportent des bandes herbeuses ou de terre sur les bas-côtés. Ainsi, le Camino francés est avant tout un vrai chemin, si on le compare aux autres chemins de Compostelle en Europe, où les parcours ne sont qu’à moitié sur les chemins :

  • Goudron : 9.2 km
  • Chemins : 15.8 km

Nous avons fait le parcours jusqu’à León d’une traite, dans un printemps froid et pluvieux. Dès lors, de nombreuses étapes ont été faites sur un sol détrempé, le plus souvent dans la boue collante.

Il est très difficile de spécifier avec certitude les pentes des itinéraires, quel que soit le système que vous utilisez.

Pour les “vrais dénivelés”, relisez la notice sur le kilométrage sur la page d’accueil.

Voici un exemple de ce que vous trouverez. Il suffit de prendre en compte la couleur pour comprendre ce qu’elle signifie. Les couleurs claires (bleu et vert) indiquent des pentes modestes de moins de 10%. Les couleurs vives (rouge et brun foncé) présentent des pentes abruptes, le brun dépassant 15%. Les pentes les plus sévères, supérieures à 20-25%, très rarement plus, sont marquées de noir.

Section 1 : Traversée du parc de Taconera.

 

 

Aperçu général des difficultés du parcours : parcours sans aucune difficulté.

Si vous êtes près de la Plaza de los Burgos, au centre-ville, il faut suivre la Calle Mayor, déserte le matin, pour passer près de l‘église de San Lorenzo, au bord de la vielle ville, près du grand parc de Taconera, où s’étale la citadelle.
Le Camino longe alors le parc, croisant de temps à autre des murs d’enceinte ou des portails de la citadelle.
Le Parc étendu de la Taconera est le poumon de la ville.
Le Camino passe assez loin des murs d’enceinte, sous les grands peupliers noirs. Plus loin, il quitte le parc pour transiter dans une partie plus moderne de la ville.
Sur le trottoir, il se dirige le long des immeubles vers un rond-point voisin de la périphérie de la ville.
Après le rond-point, le Camino quitte la ville, en passant sous la route nationale qui contourne la ville.
Il traverse alors un petit parc, où se trouvent l’Université de Navarre et un centre d’accréditation du “crédencial”. On ne badine pas avec les passeports de Compostelle en Espagne. C’est une véritable institution.
Puis, en passant sous les marronniers et les peupliers, le parcours quitte définitivement Pampelune en passant sur un vieux pont de pierre jeté sur le Rio Sadar.
Un peu plus loin le Camino traverse une autre rivière, le Rio Elorz. Les rivières et les ruisseaux sont nombreux dans le Nord de l’Espagne.
Depuis la sortie de Pampelune, le Camino suit la route sur une bande de goudron. Pour les gens qui préfèrent la terre ou herbe, ils peuvent aussi emprunter cette voie. Les gens ont tellement pris l’habitude de marcher sur le goudron, qu’ils avancent sur le goudron, pour la grande majorité. Peu après, la route passe au-dessus de la ligne de chemin de fer, où passe le TGV qui traverse le nord de l’Espagne vers Barcelone.

Section 2 : En montée vers l’Alto del Perdón.

 

Aperçu général des difficultés du parcours : parcours sans problème, en montée assez légère, avec parfois un peu plus de pente, mais rarement.

Le Camino monte alors en pente assez douce sur un trottoir vers le village de Cizur Menor, au milieu des champs de colza.
Bientôt, il passe au-dessus de l’autoroute de Navarre, où la circulation ne paraît pas débordante. Mais c’est le matin et c’est aujourd’hui dimanche.
Puis, la pente se fait plus prononcée sous les grands peupliers noirs, avant que la route n’arrive à Cizur Menor.

Les hospitaliers de l’Ordre de St Jean-de-Jérusalem avaient une commanderie au XIIème siècle, dont seule subsiste l’église cachée dans le village.

Les coréens font la première pause de la journée. Ici, la température est fraîche, de 10 degrés. Ce sera la température habituelle pendant plus de 15 jours.
Le Camino redescend alors du village en direction de Cizur Mayor, sur le trottoir.
Plus bas, la terre battue fait enfin son apparition. “Enfin, le chemin !” soupireront, en très grande majorité, les pèlerins.
Mais, ici c’est de courte durée et Le Camino longe alors le bas du village sur une petite route asphaltée.
A la sortie du village, le Camino suit alors sur une bande de terre une route utilisée par les paysans pour leurs cultures de blé et de colza.

On s’aperçoit assez vite que le chemin va monter sur la colline, il suffit de voir très au loin les grappes de pèlerins qui avancent sur le chemin.

Bientôt, il n’y aura plus que le chemin qui ondule dans la campagne. Ici, cela commence à être l’Espagne du nord, avec ses immenses champs verts au printemps, brûlés le reste de l’année par le soleil.
Un peu plus haut, la pente est un peu plus marquée, mais ne dépassant pas 10%. Parfois les dalles remplacent la terre battue, sans doute quand le chemin passe dans des terres plus inondables. Vive l’Europe ! Ces modifications du chemin, on les doit aux deniers européens. Partout, le colza se transplante sur les talus.

En se retournant, le gros village de Cizur Mayor et, en arrière-plan, la plaine de Pamplona disparaissent derrière les champs de céréales.

Il y a foule sur le chemin, des pèlerins à pied pour la plupart, mais aussi à vélo, et de nombreux randonneurs locaux qui viennent tâter un peu du Chemin de Compostelle pendant les week-ends. Le chemin croise une petite route qui rejoint un village sur une colline. Quand on observe la nature du sol, on constate que les paysans locaux ne perdent pas beaucoup de temps à épierrer leurs champs.
Ici, on cultive le blé et l’orge, comme dans toute la Meseta. Les champs labourés attendent vraisemblablement que l’on plante le maïs. Mais, dans cette région, les paysans plantent aussi beaucoup de colza, ce qui n’est pas la règle en Espagne.
Un peu plus loin, le chemin se rapproche d’un sous-bois et la pente se fait plus marquée.

Là-haut sur la colline, un village se sent tout seul au monde.

Section 3 : Zariquiegui ou la pause des pèlerins.

 

Aperçu général des difficultés du parcours : première partie aisée, puis cela se complique, entre 10% et 15% aux environs de Zariquiegui.

La pente reste marquée dans les broussailles jusqu’à atteindre le ruisseau de Idiazabal sous les peupliers noirs.
Juste au-dessus, le chemin passe au lieudit Guendulain, à 4.3 kilomètres de l’Alto del Perdón, le col où passera plus loin le Camino. Ici, une famille de l’Oregon avec des enfants. En Amérique, on peut ne pas envoyer ses enfants à l’école et les éduquer soi-même. A voir la tête du petit, on ne dira pas qu’il gardera un souvenir impérissable de son voyage en Espagne.
Plus haut, la pente s’adoucit à nouveau dans les immenses champs de céréales, sur un chemin un peu plus caillouteux.
Tout là-haut, devant vous c’est le village de Zariquiegui.
Puis, le chemin se remet à monter un peu plus fort. Devant vous, la file des pèlerins s’égrène et se perd parfois dans les virages.
C’est quand la pente se fait plus rude qu’on voit que les cyclistes ne montent guère plus vite que vous. Tout là-haut, au-dessus du village, la barrière d’éoliennes, que l’on voit depuis le fond de la vallée, se fait de plus en plus visible.
Encore un petit effort à près de 15% d’inclinaison, et le Camino débarque à Zariquiegui. C’est toujours amusant de voir avec quelle frénésie les pèlerins se jettent sur les tortillas et autres mignardises espagnoles, comme s’ils avaient jeuné depuis une semaine.

Ce village haut perché était aussi tenu par les Hospitaliers de St Jean qui bâtirent ici au XIIème siècle une église massive, dédiée à St Andres, avec une tour carrée. L’église est fermée, mais le restaurant est ouvert.

Depuis le village, un large chemin de terre redescend jusqu’à traverser le ruisseau de Rekaldea, presque invisible sous les broussailles.
Peu après, le chemin quitte progressivement les cultures et s’engage dans une sorte de maquis où ne poussent guère que le buis, les genêts et les ronces. Ici, le chemin commence à monter sérieusement, à près de 15% de pente.

Section 4 : Tout là-haut à l’Alto del Perdón.

 

 

Aperçu général des difficultés du parcours : parcours casse-pattes. À près de 20% de pente souvent. C’est surtout la descente dans le pierrier qui est pénible.

Sur une petite crête, vous pouvez vous rendre compte du chemin parcouru depuis Pampelune, tout là-bas, au fond de la plaine.

Le petit sentier va monter constamment, jusqu’à 20% de pente, dans les genêts et les buis. En saison, les pèlerins doivent souffrir par ici sous la canicule. On voit de mieux en mieux les éoliennes sur la ligne de crête, mais pour l’instant on ne les entend pas encore.
Cette approche a un petit rien de troublant. Les éoliennes, parfois on a le sentiment de les toucher du doigt, puis au détour du chemin, elles disparaissent à nouveau, comme les mirages dans les déserts.
Plus haut, dans un vrombissement assez régulier, mais supportable ici, les pales des éoliennes fendent l’air, une centaine de mètres en surplomb du maquis. Le vent d’ouest souffle avec vigueur et les turbines tournent à pleine vitesse. Ces énormes machines dressées vers le ciel pour capturer l’énergie du vent ne murmurent pas, ne chantent pas des berceuses. Elles gémissent plutôt. Elles sont comme les dents dans la mâchoire des requins, prêtes à engouffrer tout ce qui se passe à leur portée, et pas que le vent.

Des voix se lèvent de plus en plus pour arrêter le massacre des oiseaux migrateurs, qui meurent par milliers chaque année. On va jusqu’à installer des radars pour arrêter les turbines au passage des oiseaux, broyés par ces immenses mâchoires. En Espagne, plus de 20’000 éoliennes sont disposées sur les crêtes, comme autant de couloirs à vent. Ici, pour certains, elles ne troublent en rien l’esthétique de la montagne. Elles ne sont pas moins laides que les hideux téléphériques qui montent dans les Alpes à l’assaut des montagnes et des glaciers. Mais, en plaine, me direz-vous ? Récemment une grande polémique s’est développée en France à propos du Parc d’éoliennes de Nozay. Les vaches tombent malades, meurent en plus grand nombre, refusent même de se faire traire en lorgnant du côté des éoliennes. Les humains, tout près se plaignent de troubles du sommeil. Alors, les éoliennes, que du vent, qui sait ? Affaire à suivre, comme on dit dans les bonnes gazettes, scientifiques ou autres.

En tout cas, ici, où la vie est dérisoire, elles ne doivent pas troubler le sommeil des pèlerins, mais peut-être celui des marmottes.

Juste au-dessus, le chemin arrive sur les cailloux anguleux à l’Alto del Perdón, la montagne du Pardon.
Ici, les hospitaliers surveillaient le col et un ermitage offrait l’hospitalité. Aujourd’hui, il ne reste qu’une sculpture métallique érigée en 1996, en souvenir des pèlerins. D’ici la vue sur la Navarre est grandiose. Il y a bien évidemment des marchands ambulants qui ont remplacé les chevaliers de jadis, avec la carte de crédit. Si vous passez un jour en voiture par l’autoroute qui descend du nord vers Burgos, vous verrez ces rangées monstrueuses d’éoliennes. Elles sont si imposantes qu’elles sont dessinées sur les cartes topographiques. L’autoroute passe sous la montagne.

Le chemin redescend alors vers la plaine. Au bas, s’étalent de petites collines. Vous voyez aussi l’autoroute revenant vers la lumière. Mais vous êtres loin d’y être arrivé. La descente est mauvaise, sur d’affreux cailloux qui roulent sous le pied, car tel est leur destin quand ils sont disposés sur une pente sévère.
Dans cet univers aride poussent de petits chênes verts, qui doivent être peu exigeants pour survivre. Ici, on appelle ces arbres des encinas. Les chênes verts (Quercus Ilex) ne sont pas faits comme les chênes traditionnels. Ils ont l’allure de chênes, certes, mais leurs feuilles ne sont pas torturées, plurilobées, mais ou lisses ou légèrement dentées, un peu comme les feuilles de houx. Ici, on trouve ces deux espèces.
A un moment, on vous proposera de suivre soit la piste pour cyclistes, soit celle pour les piétons. Mais, rassurez-vous, c’est la même chanson, le même cauchemar pour certains. Nous avons même croisé ici une pèlerine coréenne marchant à reculons. Nous n’avons plus eu de nouvelles d’elle.

Ici, ce n’est pas la pénurie pour monter de petits cairns.

Vers le bas de la descente, la pente diminue, mais pas la densité de pierres.
Pourtant, toute bonne chose a une fin. Alors, les TGV à pattes vous dépassent et vous filent entre les doigts.
Le chemin devient alors aisé sur une terre qui est presque du sable. Alors, réapparaissent les champs de céréales et quelques prairies.
C’est souvent de la descente légère, parfois un peu plus marquée, avec ci et là un bouquet de chênes verts.
Au bas de la descente, le chemin gagne le ruisseau de Muruzabal, dissimulé dans les herbes folles sous les peupliers noirs.

Section 5 : Des vallonnements sans importance.

 

 

Aperçu général des difficultés du parcours : parcours sans difficulté, en descente légère.

Du ruisseau, le chemin remonte un peu entre chênes verts et grands peupliers noirs.
Il passe près d’une statue de la Vierge érigée sous les grands chênes.

Ici, on peut se faire déjà sa petite idée de ce que sera plus loin la Meseta, le paradis vert des champs de céréales au printemps.

Un peu plus loin, le chemin arrive à Uterga.
Nous sommes le dimanche des Rameaux, et tout le village est réuni près de l’église, rameaux à la main. Il y a encore une ferveur intacte en Espagne, où jeunes et vieilles personnes participent aux cérémonies religieuses.
Il fut un temps, bien lointain maintenant, où les pèlerins se seraient joints au cortège. Aujourd’hui, la majorité d’entre eux se contente de faire la pause à l’“albergue”.
Une route sort du village, vite remplacée par un chemin caillouteux. Devant soi, on aperçoit au lointain le clocher de Muruzabal.
Le chemin tournicote un peu dans les haies de broussailles et les petits peupliers.
Plus loin, le long des haies, le chemin ondule longuement et progresse dans les champs de céréales.
Le chemin se rapproche du village. Ici apparaissent des amandiers, avec des fruits déjà bien présents.
Sous les amandiers, le chemin arrive à Muruzabal.
Le Camino traverse alors le village sur la route, en direction de l’église massive.

Section 6 : Par monts et par vaux vers Puente La Reina.

 

Aperçu général des difficultés du parcours : une petite montée vers Olbanos, puis descentes parfois marquées, mais rien de conséquent.

Muruzabal, même s’il possède une église disproportionnée, n’est pas un grand village.
A la sortie, le Camino repart sur un chemin de terre le long des ronces, dans les champs de colza.
Au bas de la descente assez pentue, le chemin traverse le ruisseau de Murazabal, passe sous une route régionale, et remonte sur un chemin, tout aussi en pente, vers le village de Obanos.
La montée est soutenue sur des plaques de béton.
Puis, le Camino traverse la première partie du village, assez commune.
Quand vous traverserez la seconde partie de ce village, vous aurez le sentiment de voir de vieilles pierres. Mais ce n’est pas le cas. L’église San Juan Bautista date du début du XXème siècle, rebâtie dans un style gothique sur une ancienne église qui tombait en ruines.
Toutefois, il règne une ambiance encore presque médiévale ici, avec des immeubles “gothiques”. Près de la plaza de los Fueros, il y a même un arc de triomphe, aussi du XXème siècle. Tout à côté, on pratique le padel, un sport de raquette dérivé du tennis, encadré de murs et de grillages.
Juste à la sortie du village, le Camino croise l’ermitage San Salvador. On dit que c’est ici que se rejoignaient les deux voies du chemin espagnol, d’une part le Camino navarro venant de Roncevaux, et le Camino aragones, venant du col de Somport. C’est le dernier chemin de Compostelle qui vient de l’est et du nord de l’Europe.

Alors, les deux chemins pouvaient voyager de concert pour traverser l’Arga à Puente la Reina.

Assez rapidement, le Camino retrouve la terre battue. On dit que le nord de l’Espagne est couvert de coquelicots au printemps. Pour notre part, nous en avons vus très peu. Sommes-nous passés trop tôt ou trop tard ? Par contre, le colza se ressème partout sur les talus.
Le chemin descend ici, parfois en pente un peu plus accentuée vers la nationale NA-6064, qui court dans la plaine. Ici poussent un peu de vigne et quelques arbres fruitiers, très rares en Navarre.
Plus bas, le chemin rejoint la route nationale.
Il traverse la route et se retrouve de l’autre côté, longeant la route nationale, chez les maraîchers.
Autrefois, le chemin passait de l’autre côté de la rivière et arrivait au centre du bourg de Puente la Reina. Aujourd’hui, il arrive à l’entrée du bourg, près d’un grand complexe hôtelier avec hôtel et “albergue”. Il en est presque toujours ainsi. “Premier arrivé, premier servi”. Il y a d’autres “albergue” dans le bourg, mais celle-ci est prise d’assaut. Sur la place, est érigée une statue moderne de l’apôtre pèlerin (1965). Elle symbolise l’union des chemins navarro et aragonese, avec l’inscription mentionnant “Aqui, los caminos se hacen uno” (à partir d’ici, il n’y a qu’un chemin).
Puis, le Camino suit la route nationale pour arriver à l’entrée du vieux bourg, au niveau d’une auberge de pèlerins.

Section 7 : Une visite de Puente La Reina.

Puente la Reina (2’700 habitants) se nomme Gares en basque. Cela n’a rien à voir avec le chemin de fer, qui ne passe pas par ici. On fait remonter la ville au XIIème siècle, car auparavant il n’y avait qu’un gué sur la rivière. Avec l’arrivée des pèlerins, on construisit un pont, d’où les pèlerins sortent de la ville. Puente de la Reina tire son nom de ce pont à six arcs qu’une reine aurait fait ériger au XIème siècle.

La ville est conçue comme une bastide, complètement quadrillée en rues étroites parallèles et perpendiculaires. On y construisit des remparts, et on distribua ici aussi des privilèges (fueros) à ceux qui désiraient s’y installer. Puis, arrivèrent les templiers qui s’établirent au XIIème siècle, bâtissant l’église Santa Maria de las Huertas, connue sous le nom d’église du Crucifix. Quand l’ordre fut dissous, les hospitaliers de Saint Jean de Jérusalem prirent le relais, y fondant un grand hôpital. L’église du Crucifix est une belle église, carrée, à l’image des Templiers, coiffée d’un clocheton. L’intérieur est totalement dépouillé, rempli de religiosité. Dans la pénombre, on ne voit qu’à peine les statues, celle de Santa Maria de los Huertos, à laquelle était dédiée l’édifice, et du crucifix de bois apparu plus tard au XIVème siècle. L’église a connu des modifications mineures au cours des siècles.

Au Moyen-âge, l’entrée dans la ville se faisait entre deux tours de la muraille aujourd’hui disparue. Puis, le chemin passait, comme aujourd’hui encore sous la voûte reliant l’hôpital (aujourd’hui un collège) et l’Iglesia del Crucifijo. Puis, comme aujourd’hui encore, le chemin était la Calle de los Romeus, aujourd’hui la Calle Mayor.
Sur la Calle Major s’élève l’église Santiago (St Jacques), une église construite à l’origine à la fin du XIIème siècle, mais modifiée par la suite, notamment au XVIème siècle. Il reste quelques détails romans et musulmans dans le portique, mais l’intérieur sent le baroque à plein nez. Certains aiment ça, les espagnols surtout. Par contre, les statues, ont un petit air, presque de modernité.
Lorsque nous sommes passés ici, c’était le début de l‘après-midi, l’heure du couvre-feu ou de la sieste en Espagne. En plus c’était dimanche. La Plaza Mayor était vide, comme toutes les ruelles alentour. Mais soyez persuadé que si vous passez par ici à l’heure où les pèlerins se couchent l’Espagne se réveillera pour revivre. C’est tous les soirs ainsi en Espagne.
Et puis, Puente la Reina, c’est bien évidemment le pont. Le bourg doit son nom à ce pont stratégique, indispensable à la traversée de la tumultueuse Arga. Ce pont du XIe siècle, où on devait s’acquitter d’un péage, était à l’origine défendu par trois tours, une de chaque côté et une troisième au milieu, avec la vierge du Puy. À partir de l’année 1824, on documente ici les visites d’un txori (petit oiseau en basque), fasciné par la Vierge, dont il nettoyait les toiles d’araignée et lavait le visage. On criait au miracle, un miracle qui se perpétua des années, bien plus que la vie d’un oiseau normal.

Puis arrivèrent les guerres carlistes, les guerres de succession d’Espagne, entre les troupes légitimistes libérales de Madrid et les troupes rebelles conservatrices de Carlos. La ville était alors gouvernée par la faction légitimiste, mais l’esprit des gens était nettement carliste. Aujourd’hui encore, toute cette région vote encore nettement à droite. Le jeune comte Cristobal Manuel de Villena, à qui on confia la garnison, déclara que cette histoire d’oiseau n’était que superstition idiote. Il fit même tirer des coups de canon pour faire fuir l’oiseau. Mais voilà ! Les troupes carlistes défirent les troupes libérales et le général carliste fit fusiller le comte. Lorsque les habitants de Puente La Reina apprirent la nouvelle, ils la prirent comme un châtiment divin pour s’être moqué et avoir voulu chasser l’oiseau.

Une fois la guerre finie, l’oiseau continua ses visites, jusqu’en 1843. Cette année-là, les autorités libérales, lasses de toute cette histoire, firent démolir la tour centrale du pont où se trouvait la statue de la vierge. La statue fut transportée en grandes pompes à la paroisse de San Pedro, de l’autre côté de la rivière, où elle occupe toujours sa place au sein de l’autel. Alors imagination, rêve ou réalité, qui sait ?

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