09: Nájera à Santo Domingo de la Calzada

Chez le bon Santo Domingo de la Calzada

DIDIER HEUMANN, ANDREAS PAPASAVVAS

 

 

Nous avons divisé l’itinéraire en plusieurs sections, pour faciliter la visibilité. Pour chaque tronçon, les cartes donnent l’itinéraire, les pentes trouvées sur l’itinéraire et l’état du Camino. Les itinéraires ont été conçus sur la plateforme “Wikilocs”. Aujourd’hui, il n’est plus nécessaire d’avoir des cartes détaillées dans votre poche ou votre sac. Si vous avez un téléphone mobile ou une tablette, vous pouvez facilement suivre l’itinéraire en direct.

Pour ce parcours, voici le lien :

https://fr.wikiloc.com/itineraires-randonnee/de-najera-a-santo-domingo-de-la-calazada-par-le-camino-frances-33771724

Ce n’est évidemment pas le cas pour tous les pèlerins d’être à l’aise avec la lecture des GPS et des cheminements sur un portable, et il y a encore en Europe de nombreux endroits sans connexion Internet. De ce fait, vous pouvez trouver sur Amazon un livre qui traite de ce parcours. Cliquez sur le titre du livre pour ouvrir Amazon.

Le Chemin de Compostelle en Espagne. VIIA. De St Jean-Pied-de-Port à León par le Camino francés

Si vous ne voulez que consulter les logements de l’étape, allez directement au bas de la page.

Dans l’étape du jour, le Camino francés est en Rioja, au milieu des vignobles. Malheureusement il pleut aujourd’hui, et on ne pourra goûter au charme des vignes. Aujourd’hui encore, on passera le plus clair de son temps dans la boue et on lorgnera les vignes ou les plus rares champs de céréales du coin de l‘œil. Dommage ! Puisse le ciel vous être favorable quand vous passerez par ici.

Alors, disons tout de même encore quelques mots sur les vins. Les cépages blancs sont le viura, largement dominant, la malvoisie et le grenache blanc. Mais les espagnols ne produisent pas de vins blancs pour la gastronomie. Quatre cépages rouges entrent dans la composition du Rioja : le tempranillo, le garnacha, le mazuelo et le graciano. Le tempranillo, qui n’aime pas la sécheresse, est de loin le cépage le plus répandu, produisant des vins fins. Le garnacha, c’est le grenache, le cépage le plus cultivé au monde, avec des vins plus durs, plus tanniques. Le mazuelo, c’est le carignan noir, un cépage importé de France, qui produit un vin très tannique et peu aromatique. Le graciano est un cépage autochtone de la Rioja, représentant moins de 1% des vignes de la région, mais c’est celui qui donne les vins les plus aromatiques. Alors voici pour vous faire plaisir si vous les trouvez et si vous avez de l’argent pour les acheter, les notes Parker 2018 pour les grands crûs de la région. Deux choses à préciser ici. Les grands vins de la région n’atteignent pas des plafonds élevés comme en France. Les plus chers sont à environ 350 Euros la bouteille, mais vous trouvez de très grands crûs à moins de 100 Euros la bouteille, et même à beaucoup moins. Deuxièmement, le grand gourou Parker a cessé d’opérer, mais il a formé une équipe qui a les mêmes goûts que lui, à savoir des vins très corsés et puissants. Alors, Artadi El Pisón vient en tête avec 98 points. Ici, on connaît le cépage et la vigne, C’est du tempranillo issu d’un vignoble planté en 1945 à Laguardia, à 480 mètres d’altitude, sur des sols argilo-calcaires profonds, dans la Rioja Alavasa. Mais, il n’y a pas que le tempranillo qui est célébré par Parker. Le deuxième vin, à 96 points, est le Quiñón de Valmira, un vin de Álvaro Palacios, un des grands maîtres des vins en Espagne. Les vignes sont sur le mont Yerga à 615 mètres d’altitude dans la Rioja Baja et le cépage est du grenache. Le troisième vin cité, à 95 points, est le Pozo Alto, dans la Rioja Alavasa, provenant de vignes centenaires plantées surtout en graciano. Comme quoi, il y a de grands vins dans les trois régions de la Rioja et il n’y a pas que du tempranillo à déguster.

Nous sommes en l’an 1044. Dominique García, qui deviendra St Dominique de la Calzada fait construire ici un pont sur la rivière Oja. Il crée aussi une chaussée (calzada) pour traverser ces terrains marécageux. Vous constaterez que ce saint est si célèbre dans la région, qu’on lui attribue parfois tout le chemin qui traverse la Rioja et même une partie de la Castille. Pour peu, certains espagnols vont même jusqu’à penser qu’il a contribué à l’écriture du Guide du Pèlerin ! Pour faire bon nombre, il fait ériger ici une chapelle dédiée à Santa María, un hôpital et une “albergue” pour les pèlerins. Ainsi se développent durant le XIème siècle, quelques maisons construites autour de l’ermitage pendant sa vie. Durant tout le début du Moyen-âge, la ville se développe grâce au Chemin de Compostelle. A cette période, la Rioja n’existe pas, et la cité dépend de la Castille. C’est justement, le roi des Castille, Alphonse VIII qui accorde à la fin du XIIème siècle, les fueros utiles qui donnent de nombreux privilèges à la cité. La cité connaît alors un grand essor, qui s’accentuera encore jusqu’à la fin du XVIème siècle. Bien sûr, la cité a été modifiée par la suite, mais elle garde une structure assez semblable à celle qu’elle présentait au XVIème siècle. C’est juste une cité incroyable, magnifique.

Ainsi aujourd’hui, en suivant les vignes, mais aussi où parfois l’autoroute vous fait des appels de phare, le parcours suit d’agréables collines. L’étape s’achève dans un des joyaux du chemin espagnol, la vieille ville de Santo Domingo de la Calzada, baptisée ainsi pour rendre hommage au saint local.

Difficulté du parcours : Les dénivelés du jour (+343 mètres/-217mètres) ne sont pas très conséquents. Il n’y que deux endroits où la côte est un peu plus prononcée, d’abord en sortant de Nájera, sous le mont Malpica, puis en montant vers le golf à Cirueña. Tout le reste du parcours est de la balade.


Dans cette étape, la grande partie du trajet se passe encore sur les chemins. En Espagne, en dehors des villages et des villes, les routes goudronnées, pour la grande majorité, comportent des bandes herbeuses ou de terre sur les bas-côtés. Ainsi, le Camino francés est avant tout un vrai chemin, si on le compare aux autres chemins de Compostelle en Europe, où les parcours ne sont qu’à moitié sur les chemins :

  • Goudron : 5.0 km
  • Chemins : 16.8 km

Nous avons fait le parcours jusqu’à León d’une traite, dans un printemps froid et pluvieux. Dès lors, de nombreuses étapes ont été faites sur un sol détrempé, le plus souvent dans la boue collante.

Il est très difficile de spécifier avec certitude les pentes des itinéraires, quel que soit le système que vous utilisez.

Pour les “vrais dénivelés”, relisez la notice sur le kilométrage sur la page d’accueil.

Voici un exemple de ce que vous trouverez. Il suffit de prendre en compte la couleur pour comprendre ce qu’elle signifie. Les couleurs claires (bleu et vert) indiquent des pentes modestes de moins de 10%. Les couleurs vives (rouge et brun foncé) présentent des pentes abruptes, le brun dépassant 15%. Les pentes les plus sévères, supérieures à 20-25%, très rarement plus, sont marquées de noir.

Section 1 : Sur les hauteurs de Nájera.

 

 

Aperçu général des difficultés du parcours : il faut tout de même passer la petite colline de Malpica au-dessus de la cité.

 

Aujourd’hui, il pleut encore à verse sur la Rioja et les prévisions du temps sont pessimistes pour presque toute la semaine. Ce sera encore temps pourri, grisaille, vent, pluie, et froidure, mais on dit bien “mauvais temps n’arrête pas le pèlerin”, non ? Que vous ayez passé la nuit dans la ville neuve ou la vieille ville, il faudra retrouver le monastère de Santa Maria Real. Comme souvent les étapes sont courtes, vous aurez eu tout loisir de sillonner plusieurs fois la cité et vous y retrouverez facilement, car les indications dans la ville sont assez complexes et chaotiques.
Ce matin, il fait presque nuit en plein jour. Le Camino quitte donc Nájera derrière le monastère et monte. Sans rien dire, on écoute la pluie crépiter sur les pavés glissants sur le haut de la ville.
Nous sommes sous la montagne de Malpica et bientôt un chemin, qui remplace la route, monte dans la forêt de pins.
La large route de terre battue monte en pente soutenue dans une magnifique forêt de pins où court la bruyère dans l’argile rouge. Une voiture passe en éclaboussant la boue. Nos deux pèlerines, que l’on revoit tous les jours depuis le départ, avec leur charrette de voyage, peinent un peu sur la route. Disons que sur les premiers 10 jours du voyage, on rencontre souvent les mêmes pèlerins sur la route. Ce n’est qu’après que tout ce flux de pèlerins se dilue et que l‘on ne retrouve plus toujours les mêmes têtes et les mêmes uniformes.

Non, ce n’est pas une sœur dominicaine qui s’est égarée sur le chemin. Notre pèlerine porte un uniforme qui sacrifie le désir de plaire, qui la rend aussi anonyme que mystérieuse, mais qui lui permet sans doute de trouver son style, pour un peu plus de confort. Et il en faut, sous la pluie qui se déverse en trombes.

Au sommet de la colline, tout ce gentil petit monde se faufile entre les schistes rouges. Les pèlerins coréens sont toujours aussi polis. Ils donnent encore du “Buen camino”, quand on les croise. Mais on pressent que cela ne va pas durer jusqu’à Santiago et que certains commencent déjà à déserter l’usage. Les américains n’en ont cure et continuent à gesticuler et à parler fort. Eux continueront ainsi jusqu’au bout du chemin. Ils sont venus pour cela. Peu après, le Camino bifurque sur une autre route, dans un jour presque aussi sombre que la nuit.
Ici, une ferme active ou abandonnée, qui sait ? il n’y a aucune vie dans les alentours. De voir une ferme dans le paysage est un fait aussi rare que de trouver un trèfle à quatre feuilles dans la région. Les espagnols ne vivront jamais en dehors des villages. Ils doivent redouter la solitude, car leur manière de vivre est de flâner les soirées en groupes dans les villages et les villes. Pas sûr même qu’ils regardent le soir les séries américaines à la télé.
Sous la pluie dense et froide, les pèlerins s’économisent, se recroquevillent sous leurs scaphandres dégoulinants pour passer le sommet de la rampe.
Plus loin, le Camino progresse alors sur une route goudronnée fort désossée entre les vignes et les champs de céréales, plus rares. On voit pour la première fois apparaître de curieux canaux d’irrigation en béton.
Peu après, la route gagne une sorte de plaine et on entend le souffle puissant des rafales de vent et la rumeur de la pluie.

Section 2 : Dans les vignes de la Rioja.

 

 

Aperçu général des difficultés du parcours : parcours sans aucune difficulté.

Plus loin, le parcours alterne entre la route et la terre détrempée le long des vignes.

Du temps de Franco, l’Espagne a fait un grand effort pour irriguer le pays. Nombreux sont les canaux de béton qui récoltent l’eau de pluie, mais sans doute aussi l’eau des nombreux petits ruisselets invisibles. Ces canaux se terminent toujours par de petits châteaux d’eau, sans doute connectés les uns aux autres, dans lesquels on puise l’eau. Avec ce qui tombe ces jours, il ne doit pas y avoir disette.

Plus loin, on sort de la terre humide pour une petite route vigneronne. Il n’y a pas un seul ouvrier dans les vignes, pas plus d’un paysan dans les champs. Les vignes ont été taillées et les blés plantés en automne. Et dans ce printemps impossible qu’y feraient-ils ?
La route se peuple de cet immense cortège de pèlerins, qui défilent les lèvres serrées. Ce n’est pas un jour pour les bavardages insipides.
Plus loin, la route devenue quasi rectiligne, le long des canaux d’irrigation, conduit aux abords de Azofra.
Azofra est un petit village, tout volets fermés, dans lequel sans doute les vignerons font le nombre. Le nom d’Azofra proviendrait de l’arabe as-suxrta, qui signifie hommage ou de l’hébreu zophar qui signifie beau. Quoi qu’il en soit, le village est d’origine arabe. Un hôpital de pèlerins y fut fondé au XIIème siècle, qui disparut au XIXème siècle.
Les maisons sont très colorées, mariant l’ocre et le rose, mais on devine que les constructions sont légères et qu’elles n’ont sans doute pas toutes le chauffage dans ce pays difficile à vivre en hiver et au printemps. Ce ne sont plus les demeures en pierre, cossues de la Navarre. Les paysans et les vignerons ne doivent pas rouler ici sur l’or. En passant, nous avons vu quelques prix affichés dans la région : environ 2’500 Euros l’hectare pour une vigne en plein rapport. Bien évidemment, les parcelles des grands Rioja sont plus chères. Voulez-vous une comparaison pour définir le pouvoir d’achat des gens d’ici ? Dans le Bordelais, les vignes des petites appellations se vendent entre 6’000 Euros et 25’000 Euros l’hectare. Oubliez les grands crûs. Si vous voulez un hectare, il vous faudra débourser plus de 2 millions l’hectare, et certaines vignes ne sont pas à vendre !
A la sortie du village, le Camino traverse le ruisseau du Rio Tuerto et continue très peu de temps sur le goudron.
Puis, c’est le retour de la terre battue, disons plutôt aujourd’hui de la boue immonde où collent, puis se décollent les chaussures. Les pèlerins avancent d’un pas lourd dans la terre détrempée, la boue sournoise et glacée éclaboussant leurs bas de pantalons. Alors, les pèlerins, quand on les croise, s’échangent des remarques, rient. Aucun d’entre eux ne pleure ni ne maugrée. Contre qui d’ailleurs ? Personne ne les a obligés à venir s’embourber par ici. Puissiez-vous passer un jour ici par beau temps, peut-être, mais sans la canicule.
Alors, les pèlerins, tels des crapauds en goguette, avancent en barbotant dans la boue ocre de ce magnifique pays, peut-être encore plus beau sous la pluie. Certains font des slaloms improbables pour trouver ci et là un brin d’herbe salvateur. Mais c’est souvent en vain. Alors, ils pataugent comme les autres, en voyant devant eux défiler au loin l’autoroute A12, qui s’est faite silence, le vent violent supprimant tout bruit potentiel des moteurs.

Section 3 : Aujourd’hui, dans la boue de la Rioja.

 

Aperçu général des difficultés du parcours : parcours sans aucune difficulté.

 

Les jambes sont déjà lourdes, pèsent des tonnes. Vos oreilles entendent le clapotis des godasses qui prennent l’eau, quelle que soit leur qualité, et vous aspirent dans la boue gluante, épaisse et profonde. Chaque mauvais pas demande un effort soutenu pour s’en extraire. On n’est tout de même pas venu ici pour s’enliser avant de voir Santiago, non ? Il ne manquerait que le passage des tracteurs par ici, pour que le bonheur soit total, non ?

Le chemin se rapproche alors de l’autoroute. Il fait presque nuit sur le chemin détrempé. La boue visqueuse qui vous étouffe est maintenant devenue plus fuyante, mais le pied glisse encore. Pourtant, la pluie semble se calmer. Les prières au bon saint semblent porter leurs fruits.
Un ruisseau coule par ici, le ruisseau de La Ventas, qui porte bien son nom avec le vent d’ouest qui vous gicle au visage. Regardez bien ces paysages. Quand vous passerez ici en été sur l’autoroute, il n’y aura plus que des zombies de pèlerins qui se traînent dans le désert, secs à l’os.
Plus loin, le chemin passe près d’un rond-point, où passent l’autoroute et la N-120, qui court parallèle à l’autoroute. Le Camino, lui, traverse le ruisseau de la Ventas, près d’une petite route régionale.
Et le spectacle continue, lancinant diront certains, extraordinaire et hors du commun, voire exceptionnel, diront d’autres. Dans la boue collante, ou parfois dans les flaques d’eau. C’est comme l’art, tout est question de point de vue.
Alors les vignes ont tendance à disparaître au profit des céréales. Le blé n’a pas encore levé, et nous sommes à mi-mai. De nombreux champs sont encore recouverts d’engrais verts, ces plantes que l’on fait pousser pour enrichir le sol avant de planter les cultures.
Quand on scrute l‘horizon, on voit loin devant soi un chemin qui monte sur la colline. Sans doute, le nôtre !

Il y a dans ces paysages comme la magie de la solitude, sans basculer dans l’angoisse de l’isolement, l’image d’un espace fluide où l’homme se perd dans sa rêverie, où son regard embrasse le ciel au-dessus des collines. Et c’est encore plus beau quand la lumière joue avec la pluie et les nuages, dans un vert unique rayé d’ocre.

Depuis le début de l’étape, nous marchons déjà dans les paysages classiques de la Meseta du Nord, ce haut plateau qui traverse presque toute l’Espagne au nord du pays. D’ailleurs les pèlerins ont déjà compris. Ils ont lu les guides avant de venir par ici. Pour eux, dans leur lecture, Meseta, ce n’était qu’un mot de trois syllabes, très peu pour retenir leur attention, pour aiguiser en quelque sorte leur intérêt. Mais maintenant, les dés sont lancés. Il faudra s’y faire. Il y en a pour plus d’une dizaine de jours. Alors, il s’agira de mettre un pas devant l’autre, sans maudire le ciel. Aujourd’hui, certains sautent même de joie, et pour cause. Le vent a chassé les noirs nuages, s’est tu et la pluie a cessé, même si les chaussures clapotent encore dans les flaques résiduelles.

Section 4 : Un petit tour au golf, messieurs, dames.

 

 

Aperçu général des difficultés du parcours : le deuxième effort de la journée, sous la forme d’une montée de près d’un kilomètre avec une pente assez soutenue, mais ne dépassant jamais vraiment 15%.

Le chemin monte alors en pente douce vers la colline. Ici, un cycliste fait le Chemin. Ils sont aujourd’hui plus de 5% des pèlerins. La plupart d’entre eux voyage avec le minimum. En Espagne, de nombreuses organisations gèrent les transports des bagages, que ce soit pour les cyclistes ou les marcheurs. Crottés come ils sont aujourd’hui, ils auront du travail pour se décrasser, eux et leur outil de travail.
Ici encore, les champs de céréales dominent nettement les vignes. Certains pèlerins n’ont pas ôté un gramme de leur protection contre la pluie. Elle pourrait revenir, qui sait ?
Plus haut, la pente se fait plus soutenue sur le large chemin ocre, qui s’est considérablement asséché.

C’est à nouveau magnifique par ici. La lumière joue avec la terre, découpe les champs, insufflant une impression de mouvement tout en modulant avec délice les variations de couleur.

Peu à peu, le chemin arrive au sommet de la colline. Il ne fait pas assez chaud pour pique-niquer mais on a le temps de ranger une partie de son matériel de pluie.
Le chemin longe alors le golf de la Rioja Alta, voisin du village de Cirueña.

 

Ici la symbolique du Chemin de Compostelle accompagne les golfeurs.
Aujourd’hui il n’y a pas foule sur les greens. Les promoteurs ont vu grand et parfois même le luxe par ici. Tout sent l’artificiel.
Cela doit être difficile d’occuper tous ces petits appartements.
Le Camino laisse bientôt les lotissements du golf et se dirige vers le village proprement dit, à deux pas.
Le village est nettement moins luxueux. Les références à Cirueña remontent au Xème siècle, lorsque le roi de Navarre y remporta une bataille acharnée contre les Castillans. L’actuelle Iglesia San Andrés est une construction récente, sur la base d’une église préromane datant du Xème siècle, qui jouxtait un monastère.
A la sortie du village, le Camino arrive à un rond-point. Ici les golfeurs sauront, s’ils ne le savent pas déjà, que passe le Chemin de Compostelle. Ils pourront alors délaisser parfois leurs clubs de golf pour un petit bout de chemin. Quand on vous dit que Compostelle en Espagne, ce n’est pas que du pèlerinage, mais aussi beaucoup de business, trop de faux-semblants.

Section 5 : Quelques bosses légères dans les céréales de la Meseta.

 

 

Aperçu général des difficultés du parcours : parcours sans problème, avec des ondulations parfois plus marquées.

 

C’est alors le retour aux affaires courantes, dans les champs de céréales, aujourd’hui sur le chemin détrempé, avec parfois quelques ronces sur les petits talus. Ici, les vignes ont disparu.
Pas un arbre ou presque. Depuis le début de la journée nous n’avons croisé que quelques rares amandiers et de discrets peupliers noirs. Pourtant, il fut sans doute un temps où il y avait des arbres ici. Mais cela devait empêcher le passage des tracteurs. Alors on a tout rasé. Un jour, avec le réchauffement climatique et la perte totale de la biodiversité avec cette manière de faire, la Meseta sera peut-être un vrai désert. Il serait grand temps de faire revenir les haies pour éviter la catastrophe et supprimer cette culture intensive, insupportable.
Mais cela nous priverait du vertige visuel qu’offrent ces champs qui s’étendent sans qu’on puisse en limiter la fin.

Ici l’espace est silence et solitude. C’est si grand que loin devant vous, les pèlerins ne sont parfois guère plus grands que des fourmis.

Beaucoup plus loin, le chemin arrive au sommet de la douce colline.

Ici, c’est comme une fenêtre ouverte sur le temps et l‘espace, comme une grande errance flâneuse.

Plus loin, le spectacle s’ouvre sur Santo Domingo de la Calzada, que l’on voit apparaître à l’horizon. Vous verrez de temps à autre des paysans qui viennent sans doute mesurer la progression de leurs cultures. Mais rien ne pousse vraiment dans ce printemps pourri.
Le chemin commence alors à descendre. La descente est assez pentue au départ, mais la pente se réduit vite. Ici quelques chênes verts ont dû se perdre ou on les a oubliés. De loin, la cité ressemble un peu à un gros village industriel perdu dans l’immensité de la plaine.
C’est alors un long chemin rectiligne dans la plaine au milieu des blés, du colza et sans doute du maïs en attente. Ne croyez pas que le bourg est juste à côté.
L’approche de San Domingo de la Calzada est sans fin, sur la gigantesque plaine. Certains pèlerins se demandent ce qu’ils sont venus faire dans ce pays. Il y a tant de beaux chemins avant d’arriver ici, disent-ils.
Pourtant le bourg se rapproche, non ? On y distingue pus nettement le clocher de l’église. Et il a cessé de pleuvoir depuis pas mal de temps.
Pour dire que l’on s’approche d’un lieu exceptionnel, l’arrivée n’est pas royale. D’abord, c’est plat comme la main, il n’y a aucune colline ici. Et puis, toutes les banlieues du monde rivalisent de mauvais goût.
Le Camino entre alors dans une partie de la cité hors les murs qui n’offre aucun intérêt…
…avant de pénétrer dans la vieille ville. Saint-Domingue de la Calzada a consacré sa vie à l’amélioration des parcours des pèlerins, étant à la base de la construction de nombreuses routes et ponts que nous traversons, bien que beaucoup aient été reconstruits depuis le XIème siècle. Il est né Domingo García en 1019 dans le village de Viloria, par lequel nous passerons demain. Détourné dans ses efforts pour devenir moine bénédictin, il devint ermite dans les forêts, où il vécut seul et s’occupa des pèlerins, jusqu’à ce que l’évêque ordonne prêtre. En 1044, il fonda un petit village autour de son ermitage qui devint par la suite la cité qui porte aujourd’hui son nom. Dominique et son disciple Juan de Ortega commencèrent à construire une église. Après sa mort, le village avait grandi, et son église fut élevée au rang de cathédrale. Il fut enterré dans la cathédrale.

Section 6 : Visite de la vieille ville.

 

Le plan de la cité (6’000 habitants) est simple. Tout se passe presque dans la Calle Mayor qui traverse de part en part la cité.

https://www.elbalcondemateo.es/wp-content/uploads/2013/10/Mapa-Centro-Historico-Santo-Dominog-de-la-Calzada.jpg

La cathédrale de Santo Domingo de la Calzada, dont le clocher baroque se détache de l’église, on l’a vue de loin, des kilomètres à la ronde depuis le sommet de la colline. La cathédrale est le trésor de la ville, une des grandes et belles églises d’Espagne. Ici, les travaux de l’église romane ont commencé à la fin du XIIème siècle, sur la base de l‘église primitive de Santo Domingo. La cathédrale a connu durant son histoire trois tours. La primitive, de style roman, a été détruite par la foudre au XVème siècle. Une seconde tour gothique est tombée en ruines. La tour actuelle est baroque, élevée au XVIIIème siècle, haute de 70 mètres, construite hors de l’église pour des raisons de faiblesse de terrain. Elle possède huit cloches et une horloge.
Le portail sud, le portail du saint, qui date du XVIIIème siècle, est orné de niches, dans lesquelles apparaît Santo Domingo de la Calzada flanqué des saints martyrs Emeterio et Celedonio. De nombreux visiteurs, et ils sont foule ici, lui préféreront le portail occidental, hésitant entre le roman et le gothique, de la fin du XIIIème siècle, complètement dépouillé.
L’église fut modifiée plusieurs fois entre le XIIIème et le XIVème siècle. Dès lors, l’intérieur de l‘église se balade du style le plus roman, mais peu présent, dans le chevet, dans l’abside, avec un beau déambulatoire et des chapelles, au baroque le plus chargé du retable, avec de belles nefs gothiques et de beaux chapiteaux. L’église est assez lumineuse, ce qui est mieux pour la visite.
Le sépulcre du saint est présent dans une petite chapelle. On le date du XIIème siècle. Toute une mythologie s’est bâtie ici avec les miracles opérés par le saint. Lors de la construction du pont est née la légende de la roue. Un pèlerin qui dormait à l’entrée du pont aurait été écrasé par un charriot entraîné par des taureaux. Le saint lui aurait redonné la vie. Un autre miracle serait celui de la faucille, avec laquelle il aurait réussi à abattre toute une forêt de hêtres. Il y a parfois confusion entre les miracles de Santo Domingo et ceux de St Jacques relatés dans le Codex Calixtinus.
L’attraction de la cathédrale est le poulailler gothique, sujet d’interrogation pour les pèlerins qui n’en connaissent pas l’historique. Cette œuvre gothique du XVème siècle, située près du sépulcre du saint, loge une poule et un coq blancs. Les volatiles sont remplacés chaque mois par les bénévoles de la confrérie de Santo Domingo. Les archives de la fin du XIVème siècle attestent la présence de ces gallinacés. Le pape accordait des indulgences aux fidèles qui prieraient ici le saint, ou qui mieux feraient chanter le coq (“miransen al gallo y a la gallina que hay en la iglesia”) ( où a chanté une poule après avoir été cuisinée).

Il existe deux versions de cette histoire, une française, une autre espagnole. Mais, dans les deux versions, il y a un pèlerin allemand du XIème siècle. Dans la version espagnole, le jeune pèlerin passait la nuit à l’auberge, avec ses parents. Il refusa les avances d’une servante. Vexée, cette dernière cacha dans son bagage un plat d’argent. Au moment du départ, elle accusa le pèlerin de vol, qui fut pendu pour un délit qu’il n’avait pas commis. Ses parents continuèrent le voyage jusqu’à Santiago tout en priant le saint. Sur le chemin du retour, ils entendirent leur fils dire du haut du gibet qu’il vivait, grâce à la protection du saint. Ils s’adressèrent au juge, assis à table, en train de déguster un coq et une poule rôtis. Le juge leur répondit ironiquement : “Si votre fils est vivant, cette poule et ce coq se mettront à chanter dans mon assiette”. Comme dans toutes les bonnes histoires ou les miracles, l’histoire a une fin morale. Le coq se mit à chanter et la poule à caqueter. Le juge fit dépendre le jeune homme et pendit à sa place la servante. Le miracle du “pendu-dépendu” est le septième miracle du deuxième livre du Codex Calixtinus.

En dessous du tombeau du saint, on érigea en 1958 une fausse crypte pour abriter les reliques du saint. On y déposa une grande dalle de marbre abritant les reliques et un déambulatoire pour y tourner autour, selon les règles canoniques. On confia plus tard à Marko Roupnik, un prêtre jésuite slovène, grand créateur de mosaïques, titulaire de l’art œcuménique d’art religieux à Rome, le soin de créer des fresques illustrant la vie et l’histoire de Santo Domingo. Cette crypte et les mosaïques sont remarquables.
Attenant à l’église, en direction du cloître se trouve le musée d’art religieux de la Cathédrale. On y voit des pièces d’orfèvrerie, des tableaux hispano-flamands, mais aussi des peintures assez modernes de belle facture. On se doit de dire que les musées d’aujourd’hui, en Espagne aussi, ont fait de très grands progrès dans l’agencement des œuvres présentées.
La visite de la cathédrale s’achève par la visite du cloître. Le cloître date du XIVème siècle, mais il a été profondément modifié au XVIème siècle. Il reste encore ici une atmosphère monacale cistercienne dépouillée sur les pavés serrés de la place.
Le monastère cistercien “Notre-Dame de l’Annonciation” est à deux pas de la cathédrale. Ici encore, c’est une longue histoire. Avant d’arriver ici, les religieuses officiaient dans un autre couvent, loin d’ici. Le lieu étant inhospitalier, aussi demandèrent-elles le transfert à Santo Domingo de la Calzada, transfert qui leur fut accordé au début du XVIIème siècle. Arrivées ici, elles vécurent quelques années, le temps de la construction de leur église, dans une maison voisine de la chapelle Notre Dame de la Place. L’église du monastère a une forme de croix latine et son intérieur, truffé de sépultures d’évêques est fort baroque. Les sœurs sont toujours là, et tiennent une auberge pour pèlerins à deux pas. Une véritable institution, avec des chambres, guère plus grandes que des cellules, repas collectif et prières, où les pèlerins espagnols se pressent. Chez les cisterciennes, la vie est ainsi faite. Certaines prient, les autres tiennent boutique.

Près de la cathédrale, la Calle Mayor est un véritable musée à ciel ouvert d’anciennes demeures patriciennes, presque toutes blasonnées, certaines transformées en “albergue” pour pèlerins. A noter celle de la confrérie de Santo Domingo de la Calzada, dont on fait remonter le nom jusqu’au XIIème siècle. Entrez-y pour voir le monument qu’est le livre d’or, une vraie tour de Babel. Bien sûr, ces édifices ont connu sans doute des retouches au cours du siècles, mais certains murs remontent très loin dans le temps, jusqu’au XVème-XVIème siècle. D’ailleurs, la cité semble un lieu hautement touristique. C’est noir de touristes espagnols, pour la plupart. Ils sont si charmés par la cité qu’ils en oublient même la sieste du début d’après-midi.
A notre passage, il y avait marché à la Plaza de la Alameda, à deux pas de la Plaza del Santo devant la cathédrale. Certes, il y avait beaucoup de produits artisanaux locaux, mais il y avait même une meule de Gruyères, que vous aurez de la peine à trouver en Suisse.

Plus dépeuplée était la Plaza Mayor, dite aussi Plaza de España, juste derrière la cathédrale. Cette grande place pavée, entourée d’arcades, semble abriter un marché permanent, mais c’était la pause de midi et les baraques, en grande majorité, étaient fermées. Au Moyen-âge, c’était une place de marché, hors des murailles, puis elle devint une arène pour toréadors. Elle abrite aujourd’hui de nombreux bâtiments administratifs, ceux qui n’ont pas été déplacés à la place où tout le monde se rencontre, la Plaza del Santo, un tout petit espace devant la cathédrale et le parador de Santo Domingo.
On ne saurait quitter la Plaza del Santo sans signaler la présence d’un magnifique parador. Les Paradores de Turismo de España sont des hôtels de luxe promus dès 1928 par le roi Alphonse XIII pour encourager le tourisme espagnol. Ces établissements se situent dans des châteaux, des forteresses, des couvents, des monastères ou d’autres édifices historiques. L’équivalent portugais est la catégorie Pousadas de Portugal fondée en 1942. Même si Mariano Rajoy a fait une tentative de privatiser certains hôtels, aujourd’hui, ceux-ci, une petite centaine, restent toujours propriété de l‘état. Le Parador de Santo Domingo de la Calzada est l’ancien hôpital remontant à Santo Domingo lui-même, transformé bien évidemment. Certains pèlerins, quand ils ont dormi plus d’une semaine dans des “albergue” de petite ou moyenne catégorie, aiment à se faire parfois un petit plaisir. Les paradores, même sils sont de luxe, ici un 4 étoiles, pratiquent des prix fort abordables.
Maintenant, si vous allez au bout de la Calle Major, là où vous repartirez demain, vous trouverez un autre parador, le Parador de Santo Domingo Bernardo de Fresneda. C’est tout de même étonnant de trouver deux paradores dans une si petite cité. C’est vous dire la richesse patrimoniale de ce lieu. Le parador est une partie de l’ancien couvent des franciscains. Le Couvent de San Francisco a été construit au début du XVIIème siècle. L’église est fermée au culte. A notre passage, l’église était fermée. On y préparait les décors des processions de la Semaine sainte. Actuellement une partie du couvent est une résidence pour personnes âgées, appelée Hôpital du Saint. Cela entre et sort, toute la journée. C’est tout de même un privilège de vieillir dans un tel décor. Une autre partie du couvent est un atelier de restauration d’œuvres d’art.
Le parador ici est juste une catégorie en dessus du précédent. C’est un trois étoiles, mais il possède peut-être encore plus de charme. Prendre ses repas dans un cloître reste tout de manière intriguant.

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