11: Belorado à Atapuerca

Dans les Monts d’Oca chez Juan de la Ortega

 

DIDIER HEUMANN, ANDREAS PAPASAVVAS

 

Nous avons divisé l’itinéraire en plusieurs sections, pour faciliter la visibilité. Pour chaque tronçon, les cartes donnent l’itinéraire, les pentes trouvées sur l’itinéraire et l’état du Camino. Les itinéraires ont été conçus sur la plateforme “Wikilocs”. Aujourd’hui, il n’est plus nécessaire d’avoir des cartes détaillées dans votre poche ou votre sac. Si vous avez un téléphone mobile ou une tablette, vous pouvez facilement suivre l’itinéraire en direct.

Pour ce parcours, voici le lien :

https://fr.wikiloc.com/itineraires-randonnee/de-belorado-a-atapuerca-par-le-camino-frances-33793122

Ce n’est évidemment pas le cas pour tous les pèlerins d’être à l’aise avec la lecture des GPS et des cheminements sur un portable, et il y a encore en Europe de nombreux endroits sans connexion Internet. De ce fait, vous pouvez trouver sur Amazon un livre qui traite de ce parcours. Cliquez sur le titre du livre pour ouvrir Amazon.

Le Chemin de Compostelle en Espagne. VIIA. De St Jean-Pied-de-Port à León par le Camino francés

Si vous ne voulez que consulter les logements de l’étape, allez directement au bas de la page.

L’Espagne a alterné entre régionalisme et centralisation à plusieurs reprises au cours du dernier siècle et demi. En 1869, l’actuelle Castille et León plus les provinces de Santander (aujourd’hui Cantabrie) et de Logroño (aujourd’hui La Rioja) ont rédigé le Pacte fédéral castillan, qui prévoyait la création d’un État fédéral sous le nom de Castilla la Vieja (Vieille Castille) composé de 11 provinces. Cependant, la chute de la Première République en 1874 mit fin à cette initiative. Pendant la Deuxième République, surtout en 1936, il y eut de nombreuses tentatives favorisant une autonomie régionale. Cependant, la mise en place d’un régime centralisateur après la guerre civile espagnole (1936-1939) a mis fin à ces aspirations à l’autonomie régionale. En 1983, la Vieille Castille devient officiellement Castilla y León, qui est la plus grande région autonome d’Espagne.

Aujourd’hui, c’est une des plus belles étapes du Camino francés. Nous allons monter jusqu’à 1’150 mètres pour passer un col dans les magnifiques montagnes de l’Oca. Enfin, montagne, disons plutôt haute colline. Pour une journée au moins, nous allons quitter la morne lassitude de la N-120 pour des paysages enchanteurs des forêts des Monte d’Oca, où vous allez peut-être rencontrer des loups, qui sait ? Ces forêts sont le domaine d’élection d’un autre saint, grand ami de Santo Domingo de la Calzada. C’est à eux deux qu’on croit devoir le chemin actuel dans la Rioja et la Castille y León.

Juan de Quintanaortuño, connu sous le nom de Juan de Ortega, a vécu entre le XIème siècle et le XIIème siècle. Ce fut un disciple de Santo Domingo de la Calzada. En Espagne, il est le saint patron des “cantonniers”, le nom donné aux hommes pieux qui ont assuré l’entretien et le développement des routes de pèlerinage. Dans sa jeunesse, Juan de Ortega collabora avec Domingo de la Calzada pour ouvrir et améliorer les chemins du pèlerinage. Selon la tradition, on lui attribue la finalisation de la chaussée entre Nájera et Burgos et la finalisation de la construction des ponts initiés par son maître, à Nájera, Santo Domingo de la Calzada, Belorado, et Agés. En 1109, à la mort de Domingo, il s’en alla à Jérusalem. Il faillit périr dans un naufrage, mais il réussit à s’en sortir en implorant San Nicols de Myra, un saint italien de Bari, à qui il promit de construite une chapelle en son honneur. Le lieu choisi était un endroit rempli d’orties et infesté de brigands, nommé Ortega (en latin Urtiga, en français ortie). Puis, il fit ériger un hôpital pour pèlerins à côté de la chapelle. Il se décida alors de bâtir un vrai monastère en 1138, fondant une communauté de religieux adoptant la règle de St Augustin. Juan de Ortega mourut en 1163, à Nájera, enterré dans l’église Saint-Nicolas de son monastère. De nombreux miracles lui furent attribués. Le monastère vécut tant bien que mal. La pauvreté s’installa et les règles se relâchèrent au début du XVème siècle. L’évêque de Burgos fit venir ici une communauté de moines espagnols de l’ordre de St Jérôme. A la fin du XVème siècle, Isabelle la Catholique, reine de Castille, mais aussi de près de la moitié de l’Italie et de l’Espagne, venue en pèlerinage au monastère, fit reconstruire la nef de l’église et la chapelle St Nicolás. Puis progressivement, le monastère tomba en désuétude. En 1835, il fut vendu. Il fallut attendre l’année 1931 pour le déclarer monument national et le restaurer dans les années 1960.

Difficulté du parcours : Les dénivelés du jour (+459 mètres/-294 mètres) sont plus marqués que les jours précédents. Il y a raison à cela. Il faut passer le col de la Pedraja au sommet des Montes d’Oca. Mais, si on excepte ce passage, le reste c’est de la balade sur de douces collines.


Dans cette très longue étape, la très grande partie du trajet se passe encore sur les chemins. En Espagne, en dehors des villages et des villes, les routes goudronnées, pour la grande majorité, comportent des bandes herbeuses ou de terre sur les bas-côtés. Ainsi, le Camino francés est avant tout un vrai chemin, si on le compare aux autres chemins de Compostelle en Europe, où les parcours ne sont qu’à moitié sur les chemins :

  • Goudron : 4.0 km
  • Chemins : 26.0 km

Nous avons fait le parcours jusqu’à León d’une traite, dans un printemps froid et pluvieux. Dès lors, de nombreuses étapes ont été faites sur un sol détrempé, le plus souvent dans la boue collante.

Il est très difficile de spécifier avec certitude les pentes des itinéraires, quel que soit le système que vous utilisez.

Pour les “vrais dénivelés”, relisez la notice sur le kilométrage sur la page d’accueil.

Voici un exemple de ce que vous trouverez. Il suffit de prendre en compte la couleur pour comprendre ce qu’elle signifie. Les couleurs claires (bleu et vert) indiquent des pentes modestes de moins de 10%. Les couleurs vives (rouge et brun foncé) présentent des pentes abruptes, le brun dépassant 15%. Les pentes les plus sévères, supérieures à 20-25%, très rarement plus, sont marquées de noir.

Section 1 : Un retour progressif vers la Meseta.

 

Aperçu général des difficultés du parcours : parcours sans aucune difficulté.

La météo s’est trompée. Aujourd’hui, il ne pleut pas sur la région. Alors, les pèlerins se sont levés encore plus tôt que d’habitude de leurs couchettes. On ne sait jamais, la pluie peut revenir. La Plaza Mayor est déserte. Pas tant que cela ! Si les églises sont fermées à Belorado, les bars ne le sont pas. Les jeunes du village, eux, ne se sont pas encore couchés et errent dans les rues et sur la place à la recherche d’un bout de pain, ou peut-être d’un dernier verre d’alcool.
N’allez pas imaginer que la jeunesse est dévergondée ici, mais on a le sentiment, à voir le nombre, que toute la jeunesse était de sortie. Hier, c’était samedi soir. Mais, les jeunes ne prêtent aucune attention aux pèlerins qui sortent du village dans les ruelles encore sombres. Ils en voient défiler tous les jours.
Le Camino suit alors la banlieue de Beldorado pour retrouver la N-120.
Peu après, Il traverse sur une passerelle parallèle à la route le Rio Tiron. Les rivières espagnoles sont toutes larges, en eau à cette période. Le pont, les gens d’ici disent, sans preuve, qu’on le doit à Juan d’Ortega avec lequel Santo Domingo a effectué de nombreux pèlerinages vers Santiago. Bien sûr, il a été transformé depuis.
Un chemin suit quelques hectomètres la N-120, avant de croiser une autre route vicinale.
Puis, le chemin s’écarte de la N-120, s’en va dans une plaine le long des haies.
Sur votre droite, sous les peupliers noirs, coule le discret ruisseau de Retorto. Ici, les rétentions d’eau sont courantes. Quand vous voyez des peupliers, il y a souvent une rivière. C’est curieux, mais les espagnols apparemment ne favorisent pas toujours les maïs dans les régions humides.
Non, vous ne vous êtes pas trompé de chemin. Le chemin européen numéro 1 vers le Portugal nous accompagne toujours.
Plus loin, dans les champs de céréales, le chemin se rapproche petit à petit du village de Tosantos.

Section 2 : D’un petit village à un autre.

 

Aperçu général des difficultés du parcours : parcours sans aucune difficulté.

Sans doute aucun pèlerin ne s’arrêta ce matin à la place de pique-nique…
… car le village est à deux pas.
Ces auberges de village sont le nerf de la guerre sur le chemin. On peut y dormir, déjeuner, manger, mais elles servent aussi souvent d’épicerie, car il faut bien le dire, les épiceries font souvent défaut sur le chemin. Mais on n’y meurt ni de faim ni de soif.
Il y avait ici au Moyen-âge un hôpital pour pèlerins. Un peu plus loin du village, on trouve un ermitage creusé dans la roche. Aucune indication pour y aller. De toute manière, les pèlerins passeront tout droit jusqu’à la sortie du village.
A la sortie du village, le chemin passe près d’un hangar où doivent être rangés les tracteurs qui ne sortiront pas de sitôt cette année.
Dans ces tronçons où aucun obstacle naturel ne vient troubler l’espace, la monotonie et l’uniformité des lieux, vous aurez souvent le sentiment d’être tout près du but. Mais, cela n’avance pas vraiment. Pour vous, le prochain village est toujours aussi loin.
Ici, dans une région où le maïs doit aussi avoir ses droits, on voit se dessiner devant soi de petites collines, et le village de Villambista n’est pas loin. On y aperçoit déjà l’église.

L’église de San Esteban, sur la colline dominant le village, est une église massive du XVIIème siècle. Une si grande église pour un si petit village, les espagnols ne se refusaient rien autrefois.

Il y avait ici deux hôpitaux pour l’accueil des pèlerins. Au centre du village se dresse la chapelle désaffectée St Roch, le saint patron des pèlerins. Tout à côté, la fontaine des pèlerins.
A la sortie du village, un large chemin sableux, on dirait une autoroute, repart alors dans les céréales, le long des haies.
Plus loin, le chemin descend vers une place de pique-nique sous les peupliers noirs. Les coréens sont sans doute passés avant vous pour faire leur photo de groupe journalière.
Peu après, le chemin rejoint la N-120 et la traverse.

Section 3 : De la Meseta aux Monts de l’Oca.

 

Aperçu général des difficultés du parcours : parcours un peu plus vallonné.

Sitôt après avoir traversé la route nationale, le Camino arrive à Espinosa del Camino.
Les villages paraissent pauvres dans la région. Ici, les rares maisons de pierre côtoient des maisons assez neuves dont on pressent qu’elles ne dureront pas des siècles. Mais certaines demeures où le torchis est encore de mise ne manquent pas de charme.
A la sortie du village, un long serpent de terre battue s’ouvre devant vous qui monte en pente douce dans les champs vers une petite colline. C’est souvent dans ces moments-là qu’on voit les files de pèlerins qui s’envolent dans le lointain comme de petites mouches.
Plus haut, le chemin est un peu plus caillouteux. Pas un arbre ici encore, que de petits buissons le long des haies desséchées. On a épouillé le pays jusqu’à la moelle. On s’interroge encore de savoir dans quel univers voyageaient les pèlerins du Moyen-âge. Sans doute il y avait des arbres.
Au sommet de la colline, le chemin flâne un peu et on aperçoit le village de Villafranca blotti sous les Monts de l’Oca qui disparaissent aujourd’hui dans les nuages et le brouillard.

En descendant de la colline, le chemin passe près de ce qu’on pourrait croire un tas de cailloux. Vous vous en approchez. Non, ce n’est pas un refuge pour loup ou pour pèlerin. Ce sont les ruines misérables de l’ancien monastère San Felix de Oca, qui remonte au IXème siècle. San Felices, ou Félix l’Ermite, a vécu entre le IVème et le Vème siècle. Le paysan aurait bien éliminé ce tas de cailloux pour laisser tourner son tracteur, mais c’est ici qu’aurait été inhumé le comte Diego de Castille, un des fondateurs de Burgos. Les pèlerins y passent sans prêter aucune attention à la grandeur de l’histoire d’Espagne.

Au bas de la descente, le chemin, presque du sable, se dirige vers le village.
Il va vite retrouver la N-120 qu’il suit pendant quelques instants.
Un petit sentier se faufile alors qui descend sous les peupliers noirs pour franchir le Rio de l’Oca.

 

Le chemin arrive au village. Ce dernier paraît un peu plus grand que les précédents, mais il ne compte qu’une centaine d’habitants. Cependant, il a une longue histoire. Villafranca Montes de Oca accueillait les pèlerins dès le IXème siècle. C’est l’un des nombreux villages le long du Camino qui est devenu le foyer des Francs arrivant en tant que pèlerins et restant au pays en tant qu’artisans, donnant ainsi à ces villages leur appellation familière.

Villafranca Montes de Oca est l’antique Auca des Romains. Son premier évêque aurait été nommé par St Jacques lui-même. C’est ici que se produisit, au début du XIIème siècle, un miracle attribué à St Jacques, connu comme le seizième miracle du saint dans le Codex Calixtinus. Un Français, qui n’arrivait pas à avoir d’enfants, partit sur le Chemin de Compostelle pour s’attirer les faveurs de l’apôtre. A Santiago, il pria et supplia le saint de lui accorder un enfant. De retour en France, il retrouva son épouse et celle-ci mit au monde un fils qu’on appela Jacques. Lorsque l’enfant eut quinze ans, ils partirent tous pour Santiago pour remercier le saint. Mais arrivés dans les monts de Oca, l’adolescent tomba malade et mourut. La mère implora le saint de lui rendre son enfant. Alors, l’adolescent se releva et la famille continua son voyage vers Santiago.

Le village est situé au pied des Montes de Oca, autrefois une zone sauvage et inhabitée et connue pour les bandits qui parcouraient ses pentes pour chasser les pèlerins. Il y avait ici au XIVème siècle, l’hôpital de pèlerins de San Antón Abad, qui a été restauré en auberge et hôtel. San Antón Abad (Saint Antoine l’Abbé, alias Antoine le Grand) était un saint chrétien d’Égypte, le premier ascète connu à se rendre dans le désert au IIème siècle, connu comme le père du mouvement des ermites.

Section 4 : Dans les forêts de Montes de l’Oca jusqu’au col de Pedraja.

 

Aperçu général des difficultés du parcours : le parcours le plus exigeant de la journée, mais avec des pentes ne dépassant que rarement 15%.

Dès la sortie du village, derrière l’église close, le chemin se met en route vers les Monts d’Oca. La pente est assez raide au début, à près de 20%, dans les buissons et les herbes folles. Les cyclistes descendent de leur machine, pour vous donner une idée de la pente.
Les cyclistes font de la patinette, mais les TGV à deux pattes filent, selon la règle. Toujours, dans les mêmes circonstances. Plus c’est raide, plus l’adrénaline monte. “C’est bon pour le cardio” disent-ils. Oui, mais pour les endorphines aussi.
Plus loin, le chemin se fait plus généreux, diminuant son inclinaison, dans la terre ocre, sous les chênes, au milieu des genêts et des petits conifères.
Plus haut, après une place de pique-nique, le chemin reprend alors de l’altitude, avec des pentes voisines de 15%. Pour gagner le haut plateau, il y a tout de même près de de 200 mètres de dénivelé sur 3 kilomètres.
Le chemin traverse alors une forêt compacte de chênes. C’est la première fois que l’on voit autant de chênes en Espagne. Ceux que nous avons rencontrés jusqu’ici étaient des chênes verts, que les espagnols nomment encinas. Ceux-ci sont de vrais chênes, que les espagnols nomment robles. Ces arbres chétifs ressemblent plus à des chênes pubescents qu’à des chênes rouvres ou pédonculés. Mais, en Espagne du Nord, il y a plus d’une dizaine d’espèces de chênes.
Le chemin débouche alors au sommet de la montée dans une grande lande, avant de s’enfoncer dans la forêt de pins. De tous temps, les forêts des Montes de Oca ont été redoutées. Dans le célèbre Guide du Pèlerin du Codex, c’était “l’ultime épreuve entre la sauvage Navarre et l’accueillante Castille”. On ne la traversait que de jour. On racontait au XVIIIème siècle qu’un pèlerin italien s’y perdit et qu’il ne survécut que grâce à quelques misérables champignons trouvés dans les bois. Et les loups dans cette affaire ? Si vous interrogez le gens à Villafranca, ils vous diront qu’ils en ont vus et qu’il vaut mieux éviter de prendre le chemin la nuit. Ouf !
Une véritable autoroute de terre battue, tantôt ocre tantôt beige, part alors dans la grande forêt. On a beau scruter derrière les arbres. Aucun loup, aucun détrousseur de grand chemin ne viennent troubler l’harmonie des arbres. Et puis, on se sent rassuré, il y a la ligne à haute tension, et juste à côté, parallèle, la N-120.

Le chemin passe alors au col de Pedraja (Puerto de Pedraja), Ici, il y a une stèle. 1936, la date parle d’elle-même. Au-dessus de la stèle une colombe, symbole de paix. Là, au bout du chemin, les franquistes ont fusillé et jeté dans le fossé 300 républicains, désireux de liberté. Cette fosse commune, a été érigée par les familles des disparus. Du temps de Franco, les gens venaient ici, la trouille au ventre, en souvenir. Puis, en 1976, à la mort de Franco, les familles se sont mises progressivement à organiser à la Toussaint une sorte de pèlerinage, avec une modeste croix qu’on plantait, mais que les anciens franquistes arrachaient chaque année. Puis les temps ont passé et l’Espagne s’est apaisée. Alors les familles ont fait ériger cette stèle en 2011, qui raconte la sordide histoire.

Évidemment, on ne peut reprocher aux pèlerins de passer ici indifférents. Ce n’est pas leur histoire, et personne ne leur a racontée. Mais certains déposent de petits cailloux au bord de la stèle, comme ils le font généralement pour des croix, quelle que soit leur origine.

Ici, nous sommes tout de même à plus de 1’150 mètres d’altitude. A partir du monument, le chemin plonge dans un vallon. Ici, on a vraiment le sentiment de se trouver sur un tremplin de saut à skis, avec la piste qui remonte de l’autre côté pour l’atterrissage. Mais, si cela paraît vertigineux, cela n’est pas. C’est juste à 15% de pente, mais c’est l’espace qui paraît incroyable.

Section 5 : Le long de forêts qui n’en finissent pas, juste pour le plaisir.

 

Aperçu général des difficultés du parcours : parcours sans aucune difficulté.

Au bas du tremplin, le chemin franchit sur un pont de bois le petit Rio Cerraton, exsangue.
Depuis le ruisseau, le chemin remonte pendant près d’un kilomètre, avec parfois une pente plus soutenue, au milieu des chênes et des hêtres qui ont refait apparition parmi les pins. Parfois le chemin est un peu plus caillouteux dans les buissons et les genêts.
Plus haut, le chemin retrouve un haut plateau. De nombreux pèlerins reprennent leur souffle par ici.
Mais pourquoi a-t-on affublé cette région du nom “Montes de Oca” (Montagnes de l’oie). La symbolique de l’oie est aussi variée que diverse, associant la prudence, l’astuce, l’intelligence, mais aussi l’infidélité féminine ou la messagerie des dieux. Au Moyen-âge, la patte d’oie était un signe porté par les cagots, comme plus tard l’étoile juive par les Juifs. Les cagots, des ouvriers charpentiers pour la plupart, des lépreux vivant à l’écart, arboraient ce signe. Ils étaient présents en de nombreux endroits, dans les Pyrénées françaises et espagnoles. Apparemment, l’origine du mot n’est pas à chercher dans ce registre. Alors, on a été chercher du côté des musulmans qui vivaient ici autrefois. Chez eux, il y avait des perses qui s’adonnaient au commerce des oies. Peut-être, mais il y a une autre raison encore plus évidente. A l’époque romaine, le village s’appelait Auca. “Auca, Oca”, le rapprochement est vite fait, non ?

Mais qu’il y ait eu des oies ou non ici, rien n’ajoute à ce magnifique plateau que le chemin rejoint au sommet de la montée.

L’Espagne est souvent faite de liberté, de grands espaces qui donnent le vertige, qui font tourner les esprits aux voyageurs qui passent. La nature sauvage se déroule sous le regard et l’âme se plonge dans les grandes profondeurs de l’horizon.

Et revoici notre gentille dame coréenne, qui avance à son rythme sur le chemin. Tiens, aujourd’hui, elle a délaissé ses écouteurs sur ses oreilles. Est-ce pour mieux apprécier le silence qui règne ici ? Elle marche lentement, certes, mais nous sommes partis en même temps qu’elle de St Jean-Pied-de-Port. Cela conforte la morale de La Fontaine : rien ne sert de courir, il faut partir à temps.
Au détour du chemin, et il n’y en a pas énormément de détours, le chemin arrive sur un site improbable.

Aucune indication n’est donnée sur ce festival d’art primitif à ciel ouvert, sur cette exubérance de totems distribués dans la nature. Ici, pas de ticket d’entrée, le parcours est gratuit.

Bien évidemment, le charme et l’insolite des lieux n’empêche pas de répondre à ses mails sur le téléphone portable. Ici, le réseau marche, en pleine nature sauvage. Viva España !
Et le chemin de repartir inlassablement, dans le même décor de solitude, sous les pins et les chênes, avec les pèlerins devant vous, ou parfois seuls avec les loups.

Section 6 : En direction du havre de San Juan de Ortega.

 

Aperçu général des difficultés du parcours : parcours sans aucune difficulté.

Il n’y a aucun point de repère, ni une petite route transverse ni un ruisseau pendant des kilomètres, rien que ce chemin qui s’en va vers l’infini.
Si vous laissez filer les pèlerins devant vous, alors l’univers est à vous. Le chemin, de plus en plus large, va sans doute vous paraître aussi de plus en plus long. Pour certains, il n’y a rien à faire qu’avancer, l’esprit vide, sans penser à rien ou à pas grand-chose, au milieu des pins. Pour d’autres, c’est le temps du monologue intérieur, des histoires qui remontent sans cesse à votre esprit, qu’on se demande encore ce qu’on est venu chercher si loin. Mais, c’est magnifique, hors du temps.
L’hiver est rigoureux ici, dans la neige et le vent. Au Moyen-âge, sans doute les loups y rodaient déjà. Mais, il n’y avait pas que les fauves qui montraient les crocs, les bandits de grand chemin aussi. Un dicton disait ici : “Si quieres robar, véte a los Montes de Oca” (Si tu veux voler, va-t-en aux Monts de Oca).
Qui osera prétendre que la forêt n’est pas majestueuse ici, grande comme l’Espagne ?
Après quelques kilomètres de douce monotonie, on voit la forêt s’éclaircir, les clairières se rapprocher.
Nous aurons marché près de 12 kilomètres dans cette forêt sans voir un loup. Maintenant, il est temps d’en sortir.
D’ici, on a devant soi à San Juan de Ortega.
Il y a de maigres cultures, même un peu de bétail aux abords du village.

San Juan de Ortega est avant tout un monastère plus qu’un village.

On pense aujourd’hui que la construction de l’église a commencé peu après la mort du saint au début du XIIIème siècle. Puis en travaux successifs, elle fut achevée au milieu du XVème siècle. Le fronton de la façade principale a été ajouté au XVIIème siècle. L’église a un plan de croix latine, avec trois nefs, un transept, et au chevet trois absides, formant chacune une chapelle. L’église est un mélange de style roman et gothique, sans grandes fioritures baroques. L’église est très lumineuse et les voûtes en berceau sont magnifiques. Un cloître (fermé) est attenant.

L’édifice le plus ancien et le plus noble du monastère est la Chapelle de San Nicolás de Bari, dite aussi “Chapelle du Saint”. Comme on la mentionné dans l’introduction de l’étape, elle résume à elle seule l’histoire du saint. La construction de la chapelle ne fut pas simple dans un univers peuplé de brigands. Ici, dans le sépulcre sont enterrés les reliques du saint. Le style de la chapelle est avant tout roman.

Les capacités d’accueil ici sont limitées. Le village, dont surtout l’hospice des pèlerins faisant partie du monastère, ne peut accueillir qu’une septantaine de pèlerins. Les autres, qui n’ont pas eu de chance ou qui n’ont pas réservé vont plus loin sur le chemin, à Agués ou Atapuerca.

Section 7 : Direction Agés, pour trouver d’autres logements.

 

Aperçu général des difficultés du parcours : parcours sans aucune difficulté.

Ici, une route quitte le monastère pour se diriger vers la forêt qui est encore celle des Montes de Oca.
Le chemin est large dans la douce et reposante forêt de pins. C’est encore et aussi le parcours emprunté par le chemin européen No1 du Portugal.
Peu après, il y a des barrières de contention dans la forêt où les pins et les chênes et les peupliers noirs se rangent des deux côtés du chemin. Nous n’avons guère vu de bétail depuis une semaine.
Plus loin, le chemin sort alors progressivement du bois.
L’espace s’ouvre bientôt devant vous. Dans les prés se dressent de grands chênes solitaires. Nous sommes ici à 1’000 mètres d’altitude et les arbres n’ont pas encore pris leur parure de printemps. Ils sont encore dans leur état de marcescence, avec leurs feuilles mortes attachées au bas des arbres.
Le chemin avance dans les prés jusqu’au bout du haut plateau.
Le chemin descend alors sur Agés dans la plaine.
Agés a ses origines au milieu du Xème siècle lors de la Reconquista. Au XIIème siècle, le roi Fernando VII, dans ses efforts pour protéger les pèlerins qui se dirigeaient vers Santiago, détourna l’ancienne route, et depuis lors, elle passe par Agés. Agés suscite de l’intérêt chez les pèlerins non pour des raisons esthétiques, mais pour des raisons logistiques. Ici, on trouve à se loger, si on n’a pas pu le faire à San Juan de Ortega. Certains pèlerins poussent même jusqu’à Atapuerca, deux kilomètres plus loin.
Le Camino quitte alors le village et s’en va dans les prés pour aller visiter un pont sur le Rio Vena.

Section 8 : A Atapuerca, chez les hommes de la préhistoire.

 

Aperçu général des difficultés du parcours : parcours sans aucune difficulté.

Ce pont, on le doit à Juan de Ortega. Quand on regarde ces vieilles pierres, on est comme devant les pierres des ponts romains, fascinés. Certes, ici le ruisseau ne devait pas être difficile à franchir. Mais c’est touchant, plein de charme désuet de se dire que des centaines de millions de chaussures ont caressé ces pierres.
Hélas, au-delà du pont, il n’y a pas de petit chemin dans l’herbe, ni de pierres séculaires. C’est la route pendant deux kilomètres. Même les bouquets de peupliers noirs ne vous offriront pas d’ombre.
La route se rapproche petit à petit d’un parc de menhirs avant le village.
Ce parc avec des menhirs reconstitués est là pour mentionner les grandes découvertes qui ont lieu ici.

Les pèlerins n’iront pas aujourd’hui déterrer les os et les mandibules de nos ancêtres dans la montagne d’Atapuerca. La paléontologie, comme l’archéologie n’est qu’une affaire de spécialistes, d’experts, de gens qui savent identifier et dater le “contenu des poubelles”. Quand vous voyez la complexité du site, vous comprendrez que l’on ne peut aller fouiner pour y trouver un os, d’autant plus qu’il en va de la connaissance de nos origines. Des tranchées à n’en plus finir, de la collecte d’indices, c’est comme une gigantesque scène de crime, Puis énormément de savoir-faire, un peu de datation au Carbone 14, un peu de résonance magnétique nucléaire, un peu de génétique et d’ADN, et le tour est joué. Ici, il y a trois sites sous étude, avec des ossements, dont certains remontent peut-être au million d’années, au moment où l’homme moderne s’est séparé de son cousin de Neandertal. Alors vivaient ici des proto-hommes. D’autres fosses ont déjà permis d’identifier un de nos cousins, l’homo antecessor, un ancêtre de l’homme de Neandertal, qui a traîné ses sandales ici, il y a 500’000 années. Le site fait partie du Patrimoine mondial de l’Humanité depuis 2000. Of course !

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/2/22/Atapuerca_map.jpg

La route arrive alors au village, qui lui n’est pas classé au patrimoine de l’humanité. Il n’y a rien à faire ici, ni à voir, sinon l’église San Martín au sommet de la colline, construite entre le XVème et le VIème siècle en style gothique et Renaissance, fermée bien entendu. Et le soir, soupe à l’ail, bien entendu.

Logements


N’hésitez pas à ajouter des commentaires. C’est souvent ainsi que l’on monte dans la hiérarchie de Google, et que de plus nombreux pèlerins auront accès au site.
Etape suivante : Etape 12:  De Atapuerca à Burgos
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