16: Frómista à Carrión de Los Condes

Chers amis espagnols, vous poussez tout de même un peu loin le bouchon

DIDIER HEUMANN, ANDREAS PAPASAVVAS

 

Nous avons divisé l’itinéraire en plusieurs sections, pour faciliter la visibilité. Pour chaque tronçon, les cartes donnent l’itinéraire, les pentes trouvées sur l’itinéraire et l’état du Camino. Les itinéraires ont été conçus sur la plateforme “Wikilocs”. Aujourd’hui, il n’est plus nécessaire d’avoir des cartes détaillées dans votre poche ou votre sac. Si vous avez un téléphone mobile ou une tablette, vous pouvez facilement suivre l’itinéraire en direct.

Pour ce parcours, voici le lien :

https://fr.wikiloc.com/itineraires-randonnee/de-formista-a-carrion-de-los-condes-par-le-camino-frances-33863876

Ce n’est évidemment pas le cas pour tous les pèlerins d’être à l’aise avec la lecture des GPS et des cheminements sur un portable, et il y a encore en Europe de nombreux endroits sans connexion Internet. De ce fait, vous pouvez trouver sur Amazon un livre qui traite de ce parcours. Cliquez sur le titre du livre pour ouvrir Amazon.

Le Chemin de Compostelle en Espagne. VIIA. De St Jean-Pied-de-Port à León par le Camino francés

Si vous ne voulez que consulter les logements de l’étape, allez directement au bas de la page.

Ici, les organisateurs du Camino ont inventé une belle supercherie, nous faire avaler que le parcours qu’ils ont dessiné est le “vrai” chemin de Compostelle, le chemin “historique”. C’est un peu comme si les pèlerins du Moyen-âge étaient revenus pour dire aux organisateurs qu’il fallait faire passer la route à deux mètres du chemin. Mais pourquoi donc ces gentils organisateurs n’auraient-ils pas eu l’idée de faire passer le parcours au moins à 500 mètres de la route. Il y a vraiment de la place ici. Tout le monde en aurait gagné. Le parcours serait resté “historique”, car il y a de fortes chances que le parcours de tout temps ait traversé la Meseta de Burgos à León. Mais, on aurait réussi à éviter aux pèlerins de marcher presque toute la journée à côté des voitures, bien que, il faut bien le dire, la circulation n’est pas vertigineuse sur l’axe.

Nous sommes dans une région dite Tierra de Campos. Mais pourquoi donc ? Des champs, n’y en avait-il pas auparavant ? Les gens de tous temps ont aimé marquer leur territoire. Et au bout de la route, il y a la capitale de ces immenses champs, Carrión de los Condes, une cité avec de très beaux monuments. La cité a déjà été célébrée par le Guide du Pèlerin du Codex Calixtinus comme une “ville excellente, où abondent le pain, la viande, le vin et toutes sortes de choses”. L’histoire commence ici lorsqu’on amena les reliques de St Zoilo, un martyr, pour lequel on construisit une grande église et un monastère, encore présents en partie aujourd’hui.

Alors, ce magnifique parcours se nomme “Ruta Peregrinación” ou “Senda de los Peregrinos”, une bande étroite de terre battue, de gravier, parfois d’herbe, à deux mètres de la route départementale. Mais, comme il faut parfois faire taire les détracteurs, les organisateurs ont aussi créé à un moment une alternative pour éviter la route, suivant un moment la rivière Ucieza. L’alternative, qui dure près de 7 kilomètres, suit un moment la rivière Ucieza, mais c’est un grand détour sur l’étape. Pourtant, les pèlerins ne goûtent guère aux alternatives, et de plus, ils ont maintenant bien pris l’habitude de longer les routes depuis une bonne dizaine de jours. Lorsque nous sommes arrivés au départ de l’alternative, mal signalée, personne ne s’est décidé à la suivre. Alors, comme notre objectif est de décrire le parcours emprunté par la majorité des pèlerins, nous sommes restés, pour un fois, sur le parcours traditionnel.

Difficulté du parcours : Les dénivelés aujourd’hui (+77 mètres-39 mètres) sont insignifiants. C’est une étape plate comme la main, sans aucune difficulté.

Les chemins, car on les appellera ainsi, dominent nettement les routes :

  • Goudron : 3.8 km
  • Chemins : 15.2 km

Nous avons fait le parcours jusqu’à León d’une traite, dans un printemps froid et pluvieux. Dès lors, de nombreuses étapes ont été faites sur un sol détrempé, le plus souvent dans la boue collante.

Il est très difficile de spécifier avec certitude les pentes des itinéraires, quel que soit le système que vous utilisez.

Pour les “vrais dénivelés”, relisez la notice sur le kilométrage sur la page d’accueil.

Voici un exemple de ce que vous trouverez. Il suffit de prendre en compte la couleur pour comprendre ce qu’elle signifie. Les couleurs claires (bleu et vert) indiquent des pentes modestes de moins de 10%. Les couleurs vives (rouge et brun foncé) présentent des pentes abruptes, le brun dépassant 15%. Les pentes les plus sévères, supérieures à 20-25%, très rarement plus, sont marquées de noir.

Section 1 : En avant toute, sur la“ Ruta Peregrinación”.

 

Aperçu général des difficultés du parcours : parcours sans aucune difficulté.

Ce matin, il pleut toujours sur la Meseta. Cela va fait bientôt une semaine que cela dure. Certes, il ne pleut souvent pas toute la journée. Il y a des accalmies, mais la température est glaciale, nettement en dessous de 10 degrés. Le Camino part du carrefour à l’entrée de Frómista. Comme la veille, les bocadillos ne seront pas toujours servis ici.
Le Camino gagne rapidement deux ronds-points où passe l’autoroute A67, l’autoroute qui descend de la Cantabrie au bord de la mer vers Palencia à travers la Meseta. C’est aussi qu’ici s’amorce la départementale P-980 que l’on suivra aujourd’hui. Nous avons quitté la N-120, mais avons-nous vraiment gagné au change ? Ici, ce n’est plus la pluie, mais un vrai blizzard qui cingle les visages des pèlerins emmaillotés dans leur pèlerine.

Alors, voici le paysage de ce que sera l’étape du jour : la “Ruta Peregrinación”, la route du pèlerinage, une bande assez étroite de terre battue adossée à la route. Que du bonheur à saliver d’avance. Carrión de Los Condes, c’est presque tout droit là-bas au bout de la ligne droite.

Sur la longue rectiligne de 3 kilomètres qui mène au prochain village, la seule activité est de mettre un pas devant l’autre, de réajuster la visière de son capuchon qui goutte, ou de retenir sa cape agitée par un vent à décorner les bœufs. La seule activité ludique est de constater sa progression par rapport aux autres pèlerins qui vous dépassent ou vous rattrapent. Et à cet exercice, les retraités ne sont pas les derniers de la classe.
Marcher ici ou là, peu importe à vos jambes en fait mais à votre tête oui. Elle fait la différence. Alors, vous pouvez laisser défiler à loisir des images dans votre esprit, qui vont et reviennent, ou alors vous concentrer sur les équipements de vos congénères, les comparer à l’envi. Quel plaisir, n’est-ce pas ? Mais quand on s’ennuie, il faut bien inventer quelques jeux, non ?
Bien plus loin, le chemin se rapproche du village.
Le chemin arrive bientôt à Población de los Campos. Une petite chapelle se dresse ici, à gauche de la route, mais loin du parcours des pèlerins. Elle semble fermée. Alors à quoi bon perdre son temps. Ou alors, aller prendre son petit-déjeuner sous la pluie, devant la chapelle.
“de los Campos” signifie “des champs”. On ne sera pas surpris puisqu’on sillonne la Tierra de Campos et ses champs depuis plus de 50 kilomètres. Aucun pèlerin ne s’arrête, dans le village c’est trop tôt pour la pause-café. Ici, il y a moyen de quitter la “Ruta Peregrinación”, et de la rejoindre plus tard, mais apparemment aucun pèlerin n’envisage le détour. Et pourtant, si les organisateurs avaient juste décidé d’inverser les deux panneaux, tout le monde irait à travers champs. Mais voilà ! L’Europe a investi pour faire des chemins et les paysans d’ici ont dû se dire qu’il valait mieux laisser passer le parcours à côté de la route pour épargner leurs champs. Quoiqu’il en soit, avec cette explication ou une autre, la circulation sur la route est assez dérisoire et le paysage sera sans doute le même sur le détour. Le soleil apparaît discrètement. Les pèlerins ôtent peu à peu leurs combinaisons de cosmonautes. Comme quoi pardi, le dicton qui prétend que la pluie du matin n’arrête pas le pèlerin, s’avère parfois juste.
A la sortie du village, le Camino traverse le Rio Ucieza sur un vieux pont en style baroque du XVIIème siècle. La rivière, calme et placide coule dans les herbes folles, sous les peupliers noirs, comme le font toutes les rivières de la région.

Le chemin sort alors définitivement du village. A la sortie du village se dresse un crucero (cruceiro en galicien). C’est un monument surmonté d’une croix au-dessus d’un long pilier de pierre, un peu comme les personnages maigres et longilignes de El Greco ou de Giacometti. On les trouve dans les carrefours, les villages, les cimetières et bien d’autres endroits. Dans la plupart des cas, leur but est multipolaire, comme obtenir des grâces, rendre grâce pour des bénédictions, demander un miracle de guérison, ou protéger les récoltes ou les animaux de la ferme. Mais, ils remplissaient aussi la mission de guider les pèlerins et de repérer les limites des paroisses, des propriétés. Quand, ils ont une fonction plus juridictionnelle, ce sont alors des rollo, comme on l’a vu dans l’étape précédente.

Le crucero, surtout le cruceiro galicien est probablement né en Irlande vers le VIème siècle, à l’occasion de la christianisation des symboles celtiques. Puis, ce furent des illustrations utilisées pour éduquer les chrétiens avec des scènes de la Bible. On pense que les pèlerins irlandais ont apporté cette tradition en Galice par le Camino de Santiago au cours des XIème et XIIème siècles, bien que les premiers qu’ils aient construits ressemblaient peu à ceux qui peuplent actuellement le Camino, en particulier en Galice où il y en a plus de 10 000. En Galice, ils représentent la Passion du Christ, l’expulsion du Paradis, le purgatoire. Peu à peu, on développa une plate-forme sur laquelle les pèlerins pouvaient se reposer à un carrefour, Au-dessus des marches, la colonne peut être décorée de motifs liés à la Passion du Christ, comme des clous, des pinces, ou de références à Adam et Ève ou aux anges. Au sommet de la colonne, il peut y avoir un chapiteau, souvent décoré de fleurs, de visages d’angelots, de crânes ou de feuilles d’acanthe. Mais, la partie principale reste la croix. La véritable naissance du crucero se situe à l’époque gothique.

Le crucero est un peu l’équivalent du calvaire breton. Celui de Población de los Campos est d’une très grande sobriété.

Section 2 : D’un village à l’autre sur la “Ruta Peregrinación”.

 

Aperçu général des difficultés du parcours : parcours sans aucune difficulté.

Et voici que par bonheur, la pluie cesse et que le jour commence enfin à se lever, presque sous le soleil. Le chemin repart sur la “Ruta Peregrinación”, appelée aussi “Senda Peregrinación” ou “Senda de los Peregrinos”. Peu de véhicules circulent sur l’axe, vraiment peu, ce qui ne dérange guère les pèlerins dans leur progression ou dans leurs pensées. A la périphérie des villages, sont souvent regroupés les grands hangars qui abritent les machines agricoles. Au début du XXème siècle, l’Espagne était un mélange de grands propriétaires dans le sud du pays et un grand prolétariat agricole de petits et moyens propriétaires dans la Meseta du nord, qui couvre bon gré mal gré la moitié de l’Espagne. Puis arriva Franco et ses réformes agraires. Ce dernier s’attaqua surtout à développer l’irrigation déficiente du pays, et n’étant pas de gauche, favorisa plutôt le développement des grandes propriétés. On assista alors à un exode rural massif qui s’amplifia avec les années avec les sociétés aux mains des banquiers et des lois de l’économie de marché.
Et le chemin défile à nouveau sur la longue rectiligne à travers champs. Ici, on a le choix de marcher sur la terre battue ou sur l’herbe, avec partout de petits châteaux d’eau, des canalisations ou même des rigoles pour stocker l’eau de pluie. Et pour encourager ou décourager le pèlerin, c’est selon, les bornes kilométriques vous rappellent tout au long du parcours le nombre de kilomètres qui vous séparent de Carrión de las Condes.
Ici, une plantation de peupliers noirs pour rompre la monotonie des champs, un à droite, l’autre à gauche de la route. Le peuplier noir, très résistant aux maladies, est utilisé pour la marqueterie, pour les charpentes, mais surtout pour la fabrication du contre-plaqué. Ce bois a aussi servi de support à la Joconde de Léonard de Vinci.
Puis, une place de pique-nique sous les saules et les peupliers noirs. Un rare camion passe en ronflant, couvrant le rare chant des oiseaux ou les discussions souvent oiseuses des pèlerins.
Le chemin se rapproche petit à petit de Revenga de Campos.
A l’entrée du village sont alignés les hangars à tracteurs. Ici, quand on pratique un peu d’art, c’est encore du Chemin de Compostelle qu’il s’agit.
Selon l’histoire, le village a été fondé au Xème siècle. Le nom Revenga vient probablement de “revenia humeclecense”, signifiant un endroit plutôt humide. Dans les temps anciens, elle était connue sous le nom de Revenga del Camino. Mais “del Camino” ou “de los Campos”, peu importe. On traverse alors un village tout en longueur, comme ils le sont tous dans la région, avec sa petite place près de l’église traditionnelle. L’église de San Lorenzo a été construite au XIIème siècle, remaniée au XVIème siècle dans le style baroque. L’ouvre-t-on parfois, nous ne le savons pas. Par contre, les cigognes ont le droit de culte, nichant près du clocher. Dans ces villages, où l’infrastructure est déficiente, on entend une camionnette jouer du klaxon. Elle livre la nourriture et les boissons. Les ménagères sortent pour emplir leur cabas et la camionnette continue son concert un peu plus loin.
Les panneaux indiquent inlassablement la direction de la “Ruta Peregrinación“. A la sortie du village, miracle enfin, on sent que les tracteurs vont bientôt être de sortie. Nous n’avons pas encore croisé un seul de ces véhicules depuis notre entrée en Espagne, il y a maintenant 15 jours. Incroyable pour une région où il n’y a que de l’agriculture, non ? Mais, le temps est pourri cette année, on l’a dit et répété moult fois.
Devant vous, se profile déjà le prochain village sur la route.

Et toujours ces cruceros effilés de granite qui marquent le chemin, comme autant de bornes. Celui-ci est aussi sobre que le précédent.

Plus loin, après le cimetière, le chemin reprend son ballet de deux avec la route, à 11 kilomètres du but. Cette fois, le prochain village sur la route semble plus près.

Section 3 : Quelques kilomètres de plus sur la “Ruta Peregrinación”.

 

Aperçu général des difficultés du parcours : parcours sans aucune difficulté.

Et le chemin s’allonge, inlassable, toujours plus morose dans la monotonie de la Meseta. Presque jamais un arbre, parfois un rare véhicule sur la route. Quand on passe ici au printemps, on songe à la chaleur suffocante qui hante ces régions en été et en automne et qui assèche les gosiers des pèlerins.
Parfois, on jette un coup d’œil aux alentours. Ici, c’est pour noter que c’est encore un pèlerin qui jour le rôle d’épouvantail sous quelques rares arbres fruitiers. Au bord de la route, une cycliste souriante fait le point sur son “roadbook”. Elle vient du nord de l’Allemagne. Bon voyage !
Dans ces immenses étendues, le regard se perd, faute de pouvoir s’accrocher à un point précis.
Pourtant, le chemin se rapproche du village de Villarmentero de Campos, à force. Les hangars sont rangés comme des sardines à l’entrée du village. On plante même du maïs par ici, ce qui est rare à voir au printemps dans la Meseta.
Alors voici pour l’anecdote, à l’entrée du village, le premier tracteur en activité, observé depuis notre entrée en Espagne, il y a près de 400 kilomètres ! Champagne !
Le chemin traverse un village où les habitations en pisé et en briques rouges sont assez nombreuses. Il n’y a pas grand-chose dans le village, mais il y a tout de même une église, fermée bien sûr.
Ici, sous les pins parasols, une pèlerine a gardé sa cape, pressentant que la pluie pourrait encore tomber. Qui sait ? Les longs cruceros sont présents à toutes les sorties de village dans la région. Ici, on est reparti encore pour une bonne heure de marche, toujours dans la même monotonie, le même dénuement jusqu’au prochain village.
Les pèlerins, cela sert aussi de point d’appui, permettant d’évaluer les distances à parcourir, sa propre vitesse sur le chemin. Quand on ne les voit plus, le chemin s’éternise encore plus. “Encore 8 kilomètres à tirer”, diront les plus pessimistes. “Mais pourquoi donc n’ai-je pas choisi la variante ?” diront d’autres.
C’est fou ce qu’une route goudronnée peut dénaturer le paysage. Ici, sans la route, de nombreux pèlerins auraient trouvé du bonheur de la sérénité, comme la veille. Aujourd’hui ils souffrent plutôt d’ennui, d’une pesante lassitude.
Un peu plus loin, il y a quelques talus le long du chemin. Ici, la terre est de l’argile compact. L’eau de pluie stagne dans les caniveaux le long de la route.

Section 4 : En passant par la très belle église de Villalcázar de Sirga.

 

Aperçu général des difficultés du parcours : parcours sans aucune difficulté.

Il n’y a guère de virage sur le chemin. C’est tout droit, désespérément tout droit et plat. Toutefois, dans la campagne, on note parfois de légères ondulations.
En s’approchant de Villalcázar de Sirga la silhouette massive d’une église, disons plutôt d’une cathédrale, se détache au-dessus du village. C’est l’église de Santa María la Blanca.

L’origine du village remonte à l’époque romaine. Jadis, la cité se nommait Villasirga. Le nom dérive du nom latin villa (villa, lieu) et de l’espagnol sirga (chemin de remorquage), faisant référence à une ancienne route wisigothe qui traversait la ville. Puis, au début du XIIème siècle, les Templiers à leur retour de Jérusalem, avec l’aide des cisterciens, commencèrent à construire ce qui devait être une grande forteresse pour la défense de la Castille y León au Moyen-âge. La forteresse fut achevée à la fin du XIIème siècle et devient la résidence et le centre logistique des Templiers. Cette forteresse s’étendait au nord de l’église. Elle disparut progressivement au cours des siècles.

Au XIIIe siècle, on détourna le Camino le faisant passer par ici, car on commença à parler de plus en plus des miracles accomplis par la Virgen Blanca. Le nom Villasirga restera jusqu’au milieu du XVème sècle, lorsqu’on commença à appeler la cité Villa Alcázar (la dernière partie de l’arabe Quars, signifiant château ou forteresse) puis Villalcázar de Sirga à cause de l’aspect de l’église fortifiée des Templiers. Aujourd’hui, le courrier et les documents utilisent Villalcázar de Sirga, et le Villasigra plus court est l’usage populaire le plus courant. Avec la disparition des Templiers au début du XIVème siècle, les Chevaliers de l’Ordre de Saint-Jean de Jérusalem prirent la relève, s’occupant en particulier des pèlerins et des malades dans leurs hôpitaux et leurs hospices.

Le chemin arrive au village, puis continue tout droit sans passer par l’église, qui est située un peu plus haut au sommet du village, à 200 mètres du chemin. Mais la grande majorité des pèlerins passe tout droit, les européens y compris. Mais pourquoi diable, ou plutôt bon Dieu, continue-t-on à appeler le Camino le Chemin des pèlerins ? Il n’y a bientôt plus de pèlerins sur le chemin, que des randonneurs. On le répète souvent, à la cantonade : chacun fait le chemin à sa manière. On peut aller dans une église pour prier, contempler les vieux murs ou simplement se recueillir, faire silence un moment. Mais, le parcours, on devrait plutôt l’appeler “le Way”, comme le disent les américains. Aucun américain (ou si peu) ne s’arrête ici pour contempler cette merveille, une des plus belles églises d’Espagne. Certes, dans leur pays, il n’y a que des églises minimalistes, sans âme pour la plupart. Mais, leurs ancêtres ont peut-être contribué une partie de leur vie à bâtir les cathédrales en Europe. Mais les Américains n’en ont cure. Ils passent tout droit, en parlant fort, à leur habitude. C’est leur manière de vivre. Ils se dépêchent pour arriver à Santiago, et pouvoir dire plus tard à leurs amis : “The Way, I did it.” Alors pourquoi donc, les coréens s’arrêtent-ils ? Parce que les coréens sont des asiatiques et ces gens sont curieux de tout. De plus de nombreux coréens sont catholiques, mais la statistique ne dit pas combien il y a de catholiques parmi les pèlerins coréens.

Colossal, imposant, Monument National depuis 1919, construit entre le XIIème et le XIIIème siècle sur ordre de l’Ordre du Temple, il est l’un des points les plus remarquables du Chemin de Saint-Jacques de Compostelle, qui a détourné son tracé original pour passer devant cette merveille d’architecture religieuse, aux traces romanes, mais surtout de style gothique.  L’église de Santa María la Blanca est un exemple de la transition du roman ogival au gothique. Les Templiers ont en fait construit une église fortifiée, prenant la forme d’une croix latine, à double transept. Dans toute cette région où le calcaire affleure les églises sont le plus souvent faites de gros blocs de molasse ocre, ou même parfois de briques compactes. L’église possédait des tours jumelles aux extrémités du transept principal, dont une des tours est encore en place en partie. Son extérieur austère lui confère certains aspects d’un alcazar (forteresse, château).  Au XIVème siècle, quelques extensions et ajouts ont été faits, y compris des chapelles. L’immense église que nous voyons aujourd’hui est ce qui reste d’un bâtiment beaucoup plus grand, qui a été endommagé par le tremblement de terre de Lisbonne en 1755 et par les troupes de Napoléon pendant les guerres napoléoniennes. L’église est maintenant environ 25 % plus petite qu’elle ne l’était au XVIIème siècle. L’église a perdu 9 mètres de sa longueur, y compris ce qui était la façade principale, avec la Puerta del Ángel, un joyau sculptural digne d’une cathédrale et loué par les anciens voyageurs et pèlerins. Perdus également dans cet effondrement, le chœur, et l’atrium avec son narthex, et les tours jumelles.  Mais, il reste de belles merveilles de cette église.

La porte sud se distingue par sa grande rosace et l’accès couvert par un portique. C’est la plus belle de toutes les entrées du temple. La porte est flanquée de six archivoltes décorées de 51 sculptures du XIIIe siècle représentant différentes figures religieuses, telles que des anges et des saints. Au-dessus, il y a deux frises. La partie inférieure est dédiée à la Vierge blanche et décorée de figures qui font référence à l’Annonciation et à l’Adoration des Mages. Dans la partie supérieure, on peut voir le Pantocrator, accompagné des évangélistes et des apôtres. Il y a une légende qui dit que, le jour de l’équinoxe de printemps, quand le soleil brille sur la figure du taureau (Luc) à côté du Christ et coïncide avec les bouches des deux têtes qui apparaissent dans la même frise, on a alors la direction de l’emplacement exact d’un trésor caché par les Templiers. De nombreux détectives ont essayé. Mais en vain. C’est un peu Le Code da Vinci, à la sauce espagnole.
Vous pouvez faire le tour de cette merveille. C’est toujours aussi imposant, monumental, lumineux.
À l’intérieur, on remarque la hauteur de ses voûtes et la lumière qui pénètre par la rosace, ainsi que la richesse de ses pièces sculpturales et picturales. Les arcs et les voûtes signent le style roman tardif, quand les voûtes prenaient petit à petit une forme un peu plus ogivale. Les chapiteaux et les vitraux sont discrets. Les nefs sont hautes, serrées, ocres et lumineuses. Dans l’église, on a limité au maximum les ors et les bronzes dont raffolent les espagnols. La chapelle de Santiago abrite 3 magnifiques tombes gothiques, où furent enterrés des chevaliers de l’Ordre, dont l’infant Filipe de Castille et son épouse et Juan Perez, le dernier des maîtres templiers de Villasirga.
Le Camino traverse le village au bord de la route. C’est ici qu’arrive la variante qui a coupé à travers champs. Tiens, un deuxième tracteur dans le village. Cela s’active, non ? Que fait-il ? Il pèse son chargement au poids public, que l’on trouve souvent à la sortie des villages. Peut-être appartient-il à une coopérative où tout se pèse, à l’entrée comme à la sortie.
A la sortie du village, on est à 6 kilomètres de la fin de l’étape, à bien plus de Santiago. Mais, le décor ne change guère. C’est toujours une longue rectiligne dont on ne voit jamais la fin, au milieu des céréales et des champs de maïs en attente. Comme chaque jour, au printemps, la densité des pèlerins se dilue en fin d’étape. Il y ceux qui sont partis tôt et qui ont déjà regagné les “albergue”. Il y a ceux qui musardent en route. Plus tard, quand ils sont plus de 1’000 sur le chemin, on peut parfois observer de véritables trains de pèlerins.
Entre le km 6 et le km 4, rien ne s’est passé. Mais non ! Deux voitures ont passé par ici et le pèlerin aura marché une demi-heure de plus dans la languissante monotonie.
Allez ! Il y a peu de probabilité que quelque chose ne change durant les prochains kilomètres. Il n’y a qu’à se concentrer sur les bornes estampillées de la coquille. Pourtant, tout reste silencieux, muet. Quelques arbres à l’horizon, mais pas un coin d’ombre.
Plus loin, le chemin ondule légèrement entre des collines de très basse altitude, un peu comme une nappe plissée tendue sur la table de l’univers.

Section 6 : Heureusement, il y a un beau bourg au bout de la route.

 


Aperçu général des difficultés du parcours : parcours sans aucune difficulté.

Le chemin de Compostelle n’est pas un défilé de mode, mais parfois les tenues multicolores des pèlerins égayent quelque peu l’univers austère. Ici, c’est la dernière ligne droite avant la fin de l’étape.
Cela semble si près. Pourtant, il y a encore 2 kilomètres de marche. Sur les rectilignes, le temps s’écoule toujours à la lenteur de l’escargot. Il y a des couples qui marchent de concert, en harmonie apparente. Il y a les solitaires inconditionnels. Puis, il y a tous ces pèlerins qui s’inventent des familles, qui font un bout de chemin ensemble, se retrouvent dans les mêmes “albergue”, puis se dissocient, pour se retrouver peut-être plus loin. Pour une raison ou pour une autre il faut se séparer un jour. Il faut alors se réhabituer à marcher seul.
Le Camino arrive alors à Carrión de los Condes (2’000 habitants), un bourg assez riche en monuments où se mêlent le roman et le gothique, situé dans la vallée fertile du Río Carrión. Cette région fut d’abord habitée par des Celtes et des Grecs, dont certains venaient de la province de Carie en Asie Mineure et nommèrent le lieu Carrión en souvenir de leur patrie. Puis, ce furent les Romains et les Wisigoths. Les musulmans envahirent la région au XVIIIème siècle, puis, ils furent chassés par la Reconquista. Alors, la cité prit le nom de Santa María de la Victoria, du fait que les chrétiens y avaient construit une église dédiée à la Virgen de las Victorias. Au XIème siècle, elle prit le nom de Santa María de Carrión, combinant la référence à la Vierge et la fondation primitive de la ville. Le nom Carrión de los Condes (des comtes) n’apparaît qu’au XVième siècle, soulignant le fait que la place était le siège d’une famille de comtes très influents. On dit qu’à cette époque, la ville comptait plus de 10 000 habitants. Le Codex Calixtinus a dit qu’elle était “riche en pain et en vin”. C’était une ville fortifiée et avait autrefois 12 églises et 14 hôpitaux de pèlerins. C’était effectivement la capitale d’une grande partie de la région de Tierra de Campos et à partir du XIe siècle, elle était gouvernée par la puissante famille léonaise Beni-Gómez, les comtes de Carrión.

La cité assuma durant des siècles un rôle défensif pour protéger León. Les potentats locaux érigèrent au XIème siècle le magnifique monastère de San Zoilo, un monastère clunisien, qui eut pendant longtemps une grande influence dans ces terres paysannes. Le passage des pèlerins favorisa le développement de la cité, qui devint très prospère. Si on a fait de ce parcours dans la Meseta un “chemin historique”, il y a bien des raisons actuelles à cet état de fait. Puis avec les siècles, la cité perdit de sa splendeur, mais il demeure toujours ici une atmosphère médiévale dans la vieille ville.

On entre dans le bourg du côté du monastère de Santa Clara, datant du XIIème siècle, restauré au XVIIème siècle, avec sa façade de style renaissance. Nous avons trouvé porte close ici ainsi qu’au musée adjacent qui abrite de crèches de Noël du monde entier.
Il reste quelques traces des murailles médiévales à l’entrée de la vieille ville. Dans la longue rue qui sillonne tout le bourg, ce ne sont pas les signes du pèlerinage qui font défaut. Est-ce que cet accoutrement de martien vous incite vraiment à avoir envie de commencer le Camino francés ?

Ici, même les poignées de porte chantent un refrain connu.

Près d’une place au début de la cité, se dresse l’église de Santa Maria del Camino ou de la Victoria.
De nombreux espagnols fréquentant les voyages organisés s’arrêtent ici. L’église paroissiale de Santa María del Camino est la plus ancienne église actuellement conservée à Carrión de los Condes. Elle est de style roman du milieu du XIIème siècle. Cependant, certains historiens estiment que la construction de l’église de Santa María a commencé au début du IXème siècle, sur les vestiges d’une chapelle byzantine. Elle s’appelait à l’origine Santa María de las Victorias, en raison de la victoire sur les Maures, et plus tard Santa María del Camino parce que les pèlerins passaient à côté d’elle sur le Camino. Depuis lors, elle porte les deux noms.
Le portail principal, décoré de taureaux et de scènes quotidiennes, est soutenu par des arcs-boutants sous un auvent où on racontait aux pèlerins le détail des sculptures. Dans le portique se détachent l’adoration des Mages, les figures de Samson et de Charlemagne, et de nombreux autres personnages. À l‘intérieur aussi, les chapiteaux existants sont décorés de figures humaines et d’animaux fantastiques. C’est un monument assez exceptionnel.

L’intérieur est dépouillé, sous ses voûtes romanes, ses travées, sa voûte en berceau et ses arcs légèrement brisés, ce qui est tout le charme et la profondeur des églises romanes. Il n’y a que peu de gothique ou de baroque, si ce ne sont l’autel et la sacristie. Ici, on dit encore la messe.

En remontant le bourg, on trouve la Plaza Mayor, avec ses petites arcades, son hôtel de ville et son supermarché. C’est une belle et grande place qui témoigne de l’importance de la cité, un contraste évident d’avec ce que l’on trouve dans les autres villages de la région.

Sur la place se dresse l’église de Santiago, qui a été construite au milieu du XIIe siècle dans un style roman. Elle faisait partie d’un complexe monastique disparu et jouxtait initialement le mur primitif de la ville. L’église fut détruite par l’explosion d’une poudrière lors de la Guerre d’Indépendance au XIXème siècle, mais laissant heureusement intacte la magnifique façade ouest et sa frise, classée monument national. L’église fut alors reconstruite en utilisant les matériaux d’origine mais en réduisant la taille. La tour a été reconstruite dans le style mauresque.

La frise résume la Révélation apocalyptique de Jean l’Évangéliste à Patmos, avec le Christ et ses apôtres. Cette frise est considérée comme l’une des œuvres les plus remarquables de l’art roman tardif de la péninsule ibérique.

Les chapiteaux sont aussi exceptionnellement bien conservés.
Attenant à l’église, il y a un petit musée d’Arts Sacrés.
Certains pèlerins apprécieront peut-être les vieilles chasubles, les anciens pupitres d’église, le vieil harmonium ou les statues un peu “kitch” représentant les saints ou la Vierge.
On trouve encore de nombreuses églises au nord du bourg dominant le fleuve, notamment l’église de San Andres, connue comme la “Cathédrale de Carrión de los Condes”, une église massive du XVIème siècle, dont on dit dans les guides que l’intérieur est majestueux. Nous avons trouvé porte close, comme à côté, à l’ermitage de la Cruz, un édifice du XVIIème siècle, appartenant à la confrérie qui stocke les icônes et organise les processions de la Semaine Sainte.
Pas plus ouvert n’était le Sanctuaire de Nuestra Señora de Belen, un édifice du XVème siècle, qui du haut de la colline domine la rivière et San Zoilo. C’est là que les fidèles viennent chaque 13 décembre embrasser la sculpture sur bois de Sainte Lucie. De nos jours, la bonne moitié des églises est fermée, en Europe et on ne les ouvre qu’à des particuliers ou pour des raisons particulières. Il est très loin le temps où les églises étaient synonymes d’accueil.
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Pour gagner San Zolio, il faut traverser sur un pont originalement remontant au Xlème siècle, le Rio Carrión, un affluent du Rio Pisuerga, que nous avons rencontré dans l’étape précédente. C’est par ici que passeront les pèlerins pour continuer le Camino.

Près du pont médiéval, se dresse le monumental monastère de San Zoilo, un ancien refuge de pèlerins dont la construction initiale remonte au Xème siècle, avec l’arrivée ici des reliques de Zan Zoilo et qu’on céda à l’ordre de Cluny au XIème siècle. De cette époque demeure une fenêtre. Il servit aussi à une époque de résidence royale et devint avec le temps une auberge de pèlerinage. Le monastère se sépara des clunisiens pour devenir un monastère bénédictin au XVème siècle. Les dominicains détruisirent l’ancien cloître pour bâtir le nouveau, de style renaissance, qui est encore aujourd’hui d’actualité. Puis l’édifice fut progressivement amendé entre le XVIème siècle et le XIXème siècle. Puis, au XIXème siècle, les jésuites, les nouveaux propriétaires, en firent un collège. L’édifice a donc connu au cours de son histoire trois grands ordre religieux. Aujourd’hui, on ne visite plus l’église, mais le cloître est accessible.

Sur le chemin, les pèlerins, en très grande majorité, passent la nuit dans les “albergue”. Il y a de nombreuses raisons à cela. Il y a d’abord le prix du logement, le plus souvent inférieur à 10 Euros la nuit, en Espagne. Il y a surtout l’esprit du chemin, ce sentiment de convivialité, de fusion presque où le partage, même celui des repas, est souvent de mise. Mais parfois les pèlerins font exception à la règle, pour retrouver un peu plus de confort. Alors ici, il y a de quoi satisfaire ses envies à l’hôtel Real Monasterio de San Zoilo, un établissement ****, qui pratique des prix très raisonnables et qui utilise le monastère et son cloître. Même si cet établissement ne fait pas partie de la liste des Paradores, ces hôtels de haute volée, qui utilisent les infrastructures d’anciens lieux historiques, comme des châteaux ou des cloîtres, celui -ci ne fait pas pâle figure. Alors, allons-y faire un petit tour.

Logements



N’hésitez pas à ajouter des commentaires. C’est souvent ainsi que l’on monte dans la hiérarchie de Google, et que de plus nombreux pèlerins auront accès au site.
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