01a: St Jean-Pied-de-Port à Roncevaux sous la pluie ou le beau temps

Viva España sous la pluie ou le beau temps

DIDIER HEUMANN, ANDREAS PAPASAVVAS

 

 

Nous avons divisé l’itinéraire en plusieurs sections, pour faciliter la visibilité. Pour chaque tronçon, les cartes donnent l’itinéraire, les pentes trouvées sur l’itinéraire et l’état du Camino. Les itinéraires ont été conçus sur la plateforme “Wikilocs”. Aujourd’hui, il n’est plus nécessaire d’avoir des cartes détaillées dans votre poche ou votre sac. Si vous avez un téléphone mobile ou une tablette, vous pouvez facilement suivre l’itinéraire en direct.

Pour ce parcours, voici le lien :

https://fr.wikiloc.com/itineraires-randonnee/de-st-jean-pied-de-port-a-roncevaux-par-le-gr65-31352108

Ce n’est évidemment pas le cas pour tous les pèlerins d’être à l’aise avec la lecture des GPS et des cheminements sur un portable, et il y a encore en Europe de nombreux endroits sans connexion Internet. De ce fait, vous pouvez trouver sur Amazon un livre qui traite de ce parcours. Cliquez sur le titre du livre pour ouvrir Amazon.

Le Chemin de Compostelle en Espagne. VIIA. De St Jean-Pied-de-Port à León par le Camino francés

Si vous ne voulez que consulter les logements de l’étape, allez directement au bas de la page.

Le pèlerinage de Compostelle, proclamé en 1987 “Premier itinéraire culturel européen” par le Conseil de l’Europe, est devenu un phénomène mondial, rassemblant des personnes de plus de 120 nationalités. Le film The Way, diffusé dans les pays anglo-saxons, a fait beaucoup dans la croissance du nombre des pèlerins ces dernières années, provenant notamment du Canada, d’Australie et des Etats-Unis.

Il faut lire entre les lignes les difficiles statistiques de France et d’Espagne pour essayer de comprendre le flux des pèlerins à travers la frontière. Plus de 250’000 pèlerins gagnent St Jacques de Compostelle chaque année. Ils ne partent évidemment pas tous de France. Et loin de là ! A St Jean Pied de Port, on atteignait le nombre de 54 329 pèlerins pour l’année 2015. Les espagnols disent, qu’en 2013, 29’344 (soit 12,34%) pèlerins ont débuté le chemin à Saint-Jean Pied-de-Port, 8’268 (soit 3.9%) étant partis de Roncevaux. Les autres sont partis de toutes les étapes espagnoles sur le chemin vers Santiago. Si on compare les chiffres des pèlerins qui arrivent à St Jean-Pied-de-Port (environ 55’000 pèlerins) et ceux qui en partent (30’000 pèlerins), cela nous laisse environ 25’000 qui sont partis des chemins français, la plupart du Puy-en-Velay. Dans les mois les plus fréquentés, à savoir mai et septembre, 9’000 pèlerins partent chaque mois de St Jan-Pied-de- Port, soit environ 300 par jour. Ceci indique aussi qu’environ 4’000 personnes arrivent chaque mois dans le bourg, soit entre 100 et 150 par jour. Et tout cela dépend encore des jours. Le lundi est souvent le jour le plus fréquenté, car ceux qui débutent leur voyage à St Jean-Pied-de-Port arrivent ici souvent le week-end. Dès lors, certains jours, avec les pèlerins qui partent de Roncevaux, on peut avoir des pics journaliers de près de 500 personnes à Roncevaux. Vous avez fait le compte. Plus loin, en Espagne, ils seront souvent plus de 1’000 par jour sur le chemin.

Le passage des Pyrénées vers l’Espagne est une étape magnifique, hors des sentiers battus, même si elle demande un effort soutenu, rarement entrepris jusqu’ici sur le chemin depuis le Puy. La montée ver le col de Bentarte se pratique dans un paysage de landes arides, où gambadent les moutons, mais où aussi planent les vautours, qui repèrent les moutons fragiles. Et que dire de la descente sur Roncevaux. Magnifique dans une grande forêt d’hêtres, mais si difficile par mauvais temps. Mais voilà ! Il pleut souvent sur les Pyrénées, et alors le parcours peut devenir très pénible. Aussi, nous décrirons ici ce parcours, fait à deux périodes différentes, dans la pluie et le beau temps. Nous montrerons la première partie du parcours dans le mauvais temps, la seconde dans le beau temps, en montrant parfois des lieux où on mélange les images, pour vous montrer, mais vous le savez aussi, que la pluie ou le soleil changent radicalement votre état d’esprit et le souvenir que vous conserverez de cette étape reine du Chemin de Compostelle. Il va de soi que l’on vous souhaite plutôt le soleil lorsque vous marcherez par ici.

Difficulté du parcours : C’est une étape difficile, avec de rares moments de répit, autant en montée vers le col de Bentarte qu’en descente sur Roncevaux, depuis le col de Leopeder. C’est l’étape la plus redoutée des pèlerins. Mais, lorsqu’on a déjà traversé la France à pied, ce n’est pas insurmontable. Les dénivelés (+1353 mètres/-587 mètres) sont loin d’être une bagatelle. Les pentes les plus sévères sont après Huntto, en montée, et surtout dans la forêt de Roncevaux, en descente.


La montée vers le passage des Pyrénées se passe presque entièrement sur le goudron. Par contre, lorsqu’on arrive sur les hauteurs, en Espagne, les chemins font la loi :

  • Goudron : 14.0 km
  • Chemins : 10.0 km

Nous avons fait le parcours jusqu’à León d’une traite, dans un printemps froid et pluvieux. Dès lors, de nombreuses étapes ont été faites sur un sol détrempé, le plus souvent dans la boue collante.

Il est très difficile de spécifier avec certitude les pentes des itinéraires, quel que soit le système que vous utilisez.

Pour les “vrais dénivelés”, relisez la notice sur le kilométrage sur la page d’accueil.

Voici un exemple de ce que vous trouverez. Il suffit de prendre en compte la couleur pour comprendre ce qu’elle signifie. Les couleurs claires (bleu et vert) indiquent des pentes modestes de moins de 10%. Les couleurs vives (rouge et brun foncé) présentent des pentes abruptes, le brun dépassant 15%. Les pentes les plus sévères, supérieures à 20-25%, très rarement plus, sont marquées de noir.

Section 1 : Une sortie de St Jean-Pied-de-Port qui annonce une pente rude.

 

Aperçu général des difficultés du parcours : au début, la pente est déjà très marquée. Mais parfois assez supportable.

La première fois que nous sommes passés ici, cette nuit-là, le temps était devenu maussade sur St Jean Pied-de-Port. Nous avions passé la nuit dans un logement de la rue du Maréchal Harispe, une rue qui grimpe fortement à la sortie du bourg, annonciatrice de fortes déclinaisons. Vous allez rapidement constater comment s’organise la vie des centaines de pèlerins qui partent sur Roncevaux. Il fait encore nuit, 5 heures du matin environ. Vous entendez le crissement si caractéristique des bâtons de marche qui griffent le goudron de la rue en pente. Vous ouvrez un œil, surpris, entrebâillez les volets. Des lampes frontales projettent une ombre pâlotte sur les murs alentour. Une pluie fine tombe, si fine qu’on la distingue à peine dans les halos des lampes. Certains pèlerins aiment partir tôt, quelle que soient les conditions. Mais encore faut-il pouvoir lire les directions du GR sur le chemin ? La lumière de la lampe frontale fera le nécessaire. Emmitouflés sous leur ciré, leur pèlerine, leur poncho, leur coupe-vent ou leur veste en Gortex, les pèlerins avancent silencieux, de la pluie dans les yeux.

Votre moral ne bat pas des records. Vous avez devant vous la plus belle étape du chemin de Compostelle, celle que tous les pèlerins attendent autant qu’ils la redoutent. Il faudra sans doute y aller le cœur moins léger, vous imprégner de l’humidité sournoise, écouter la musique des gouttes d’eau qui tombent de votre chapeau sur le visage, puis dans les flaques. Vous savez déjà aussi que tout ce plastique qui vous recouvre, vous et votre sac, limitera votre horizon, que vos semelles clapoteront dans les flaques et que la boue insidieuse vous collera aux basques. Qu’il fait bon au chaud dans son lit ! Vous n’allez pas tardez à y retourner. Mais non pour une éternité ! “Tout vient à point pour qui sait attendre” n’est sans doute pas le meilleur dicton adapté au labeur du pèlerin. Que l’heure sonne ou ne sonne pas, il faut toujours partir, quel que soit le sort qui attend le pèlerin. Pour l’instant, Dieu, Allah et Zeus ne se sont encore accordés pour laisser un peu de répit au pèlerin.

Et déjà, le matin, il y a foule au bureau des pèlerins, qui viennent aux renseignements. Pour de multiples raisons, incluant la météo, les conditions du parcours, les logements, mais aussi pour se munir du “credencial”, le passeport des pèlerins, pour ceux qui commencent le chemin ici, et c’est la majorité. La rue où se dressent les uns contre les autres les logements et les boutiques, est pourtant encore assez vide. Tout dépend de l’heure de votre départ.
Le parcours part du centre, près de l’église et de la tour-horloge sur la rivière.
Le pavé est glissant, dégoulinant de pluie, et la rue monte vers la Porte d’Espagne, là où sont regroupés grands parkings.

A la Porte d’Espagne, on vous propose le programme : 4h 30 pour le col de Bentarte, 6 h 35 pour Roncevaux. Les pèlerins battent des cils, car ici l’altitude est à 173 m, et il faudra monter à plus de 1’500 mètres.

Alors, ici, c’est le dernier moment du choix : la voie plus facile (enfin facile, manière de dire) vers Valcarlos, la Voie d’hiver, ou alors la Route Napoléon, la seule vraie voie, qu’ont imaginé les pèlerins dans leurs rêves les plus fous.

Il arrive que par des temps exécrables, avec la neige au rendez-vous, on ferme ce parcours, mais ceci ne dérange pas tous les pèlerins.

Au début de la route Napoléon, le parcours suit la Rue du Maréchal Harispe, une rue, toute de plaisir, à près de 20% de pente. On met rapidement le pèlerin à l’exercice, sans préliminaires.
La foule des pèlerins est déjà en marche. Il faut passer la première rampe de Portaleburu à la sortie du bourg, au milieu des gîtes et des chambres d’hôtes qui s’éternisent sur la hauteur. Ces logements sont souvent pris par les pèlerins qui n’ont pas trouvé place au bas du village ou par ceux qui ont voulu profiter de prendre déjà un peu de hauteur.

Plus haut, la route arrive à Ithurburua, à 230 mètres d’altitude, on dira le vrai départ de la route Napoléon. Ici, on annonce le programme. Roncevaux (Orreaga) est à 23.6 kilomètres et la frontière franco-espagnole seulement à 15.4 kilomètres. 4h 20 de marche pour arriver au col.

La route zigzague ici encore au milieu des chambres d’hôtes, et la pente se fait à nouveau plus rude.
Plus haut, la pente diminue un peu vers Othatzenea et les logements se raréfient bientôt.

Dans les Pyrénées, le temps peut changer en moins de temps qu’il ne faut pour l’écrire. Une pluie très fine chantonne des gouttes de musique qui frappent en cadence les cirés des pèlerins. Ici, le cycliste n’en a cure. Il est encore tout droit, tout fier sur sa bicyclette. Cela ne durera pas. La pente va rapidement enfler, devenant insupportable à sa musculature. Même le Tour de France ne saurait passer par ici.

Plus haut, la route lâche de plus en plus les maisons, jusqu’à atteindre Etxebestéa, avant que ne monte plus sévèrement la Route Napoléon vers Huntto.
Il n’y a pas que des pèlerins par ici. Les brebis Manech ne prêtent guère attention au crachin. Elles en ont l’habitude.

Tout là-bas, au fond de la vallée, St Jean-Pied-de-Port se réveille.

Le GR65 s’élève alors sévèrement dans les virages de la route. Maintenant, il n’y a pas vraiment de ciel ou d’horizon, car la brume s’infiltre, s’insinue jusqu’à gommer les différences dans un flou cotonneux. Les pèlerins sont parfois comme des grains de chapelet d’un rosaire qui se perdent dans les virages de la route.
Là-haut guignent les maisons de Huntto.

Section 2 : Dans la douleur des virages de Huntto et Orisson.

 

Aperçu général des difficultés du parcours : le passage le plus pénible de l’étape, avec des pentes nettement supérieures à 15%, avec parfois un peu de rare répit.

Comme des silhouettes anonymes trappées dans les volutes d’un bar enfumé d’Ecosse, les pèlerins avancent, courbés sous le poids de leur sac sur les lacets qui s’étirent dans la verte prairie basque. Une dame, assez âgée, assez enveloppée, n’atteindra sans doute pas le col aujourd’hui. Par contre, pour les Manech à tête rousse, qu’importe le crachin ou la pente. Sous leur toison de laine tombante, c’est la grande vie. Monter, descendre, brouter, brouter, et brouter encore jusqu’à présenter leur pis pour permettre de fabriquer le si bon Ossau-Iraty.
Et la route s’allonge, de plus en plus raide. On le savait, c’est sans surprise, mais très raide, jusqu’à arriver à Huntto, ses petites maisons et son bar. Certains pèlerins ont sans doute logé ici pour raccourcir l’étape. On a en fait déjà pris plus de 350 mètres de hauteur depuis le départ. Bonheur total, pour un premier café après le petit déjeuner. Au chaud. Une pluie qui soudain s’est arrêtée presque par magie. Les dieux se sont mis d’accord. Pour l’instant.
Un peu au-dessus de Huntto, le GR65 arrive à un carrefour un peu stratégique. La route goudronnée s’en va sur la droite. Peu de pèlerins empruntent cet itinéraire que suivent plutôt les cyclistes. Les pèlerins lui préfèrent le chemin qui monte tout droit devant eux. Quand on dit tout droit, c’est une manière de dire. Ce chemin, tortueux et caillouteux à souhait, aime balader ses visiteurs à plus de 30% de pente par endroits.

Est-ce que les pèlerins le sentent, le savent ou l’anticipent ? Toujours est-il qu’ils ont sagement rangé leur équipement de pluie et retroussé les manches. On dirait l’été ! Et pourtant, la brume tenace, sournoise, monte de la vallée pour emprisonner la montagne, même si on a le sentiment que le temps va se lever. Cela doit être délicat d’assurer la météo dans la région.

C’est quasi un kilomètre à avaler sur les gris cailloux rouges de calcaire, au milieu des fougères calcinées par la canicule d’été. La pente est si sévère que souvent les pèlerins musardent, s’arrêtent, puis repartent, profitant de jeter un coup d’œil en arrière pour se satisfaire de leur devoir déjà accompli. Presque de la jouissance se lit sur certains regards. En effet, Huntto disparaît progressivement en dessus de la colline. St Jean de Pied-de-Port, tout au fond, n’est plus à portée de fusil, non plus.

Arrive presque toujours alors ce moment béni que la nature a prévu pour les pauvres marcheurs. La pente s’adoucit et les semelles se réconfortent sur l’herbe tendre. L’herbe est si verte, si rase qu’on pourrait y jouer au golf. Alors, certains pèlerins sortent leur téléphone portable. D’autres avancent le nez en l’air, presque en fredonnant des chansons. On peut même rencontrer des asiatiques “faire des pompes” pour se relaxer après l’effort. Depuis ici, vous aurez parfois le sentiment de marcher en Corée du Sud, et ceci jusqu’à Santiago. Toute l’humanité chemine vers Santiago.
Un peu plus haut, la route et le chemin se rejoignent à nouveau, près d’une annexe du refuge d’Orisson. Il y a tant de pèlerins qui veulent passer la nuit au refuge, que les propriétaires se sont vus dans l’obligation d’agrandir. Mais attention ! Le refuge est encore à un bon kilomètre d’ici. Ici, les pèlerins profitent de visualiser la vallée sur un planisphère. Le bonheur quoi ! Le temps se lève. Le ciel bleuit à vue d’œil. Vive Roncevaux !
Ici, la pente devient un peu plus humaine, et on a le choix de marcher sur le goudron ou sur l’herbe. Il fait presque beau, et pourtant, il vaut mieux regarder tout autour pour se faire une idée plus précise. Au prochain virage de la route, la catastrophe s’annonce. Les montagnards connaissent bien les prémisses. Quand le brouillard remonte le vallon et s’accroche sur les épicéas, que la brume commence à flouter l’horizon, la pluie n’est pas très loin. L’espace peut demeurer ainsi silencieux, comme paralysé, de longues heures, voire des jours. Mais il suffit d’une petite étincelle, un coup de vent par exemple, pour que la nature s’emballe et déballe.

On sait bien que “Pluie du matin n’arrête pas le pèlerin”. Pas plus ici qu’ailleurs. Comme la pente est devenue plus humaine, les pèlerins, qui ne sont pas des forçats, s’arrêtent souvent pour embrasser les paysages, jetant sur l’horizon un regard rarement inquiet. Ils ne sont pas comme les paysans qui guettent de leur œil noir l’orage qui va anéantir leur récolte.

Car depuis quelques instants, le brouillard est monté encore un peu plus haut et s’est densifié sur la montagne. Et la route monte encore…
… jusqu’à rejoindre le refuge d’Orisson, pris d’assaut par les pèlerins. Quelques rares pèlerins passent ici la nuit, ce qui permet de couper la poire en deux. Il vaut mieux, bien sûr, réserver d’avance. Il n’y a pas beaucoup de places disponibles.

Quant au climat du jour, le vent a dû tourner dans un autre sens, car au refuge, c’est presque le soleil qui fait son apparition. Les gens font leur dînette sur la terrasse au soleil, les manches retroussées.

Il y a foule ici. On ne sait quelle langue parler. Coréen, portugais, allemand, turc, vous avez le choix ! Les restaurateurs, eux, parlent un anglais approximatif, comme de nombreux pèlerins d’ailleurs. La file d’attente pour les toilettes est interminable. Ici, c’est le dernier signe de civilisation avant Roncevaux.
Nos amies sud-coréennes ont un large sourire. C’est le début du chemin pour elles et elles adorent poser pour le photographe.
Peut-on vous laisser sur une impression mitigée d’une si belle étape escamotée en partie par la pluie ? Non, et pour cela il suffit de refaire l’étape, une autre fois, par exemple si la chance est avec vous, par un jour de beau temps. Nombreux sont les pèlerins qui ont été mordu par Compostelle, et qui ont fait plusieurs fois le chemin. En pratiquant de la sorte, on connaît alors assez précisément où sont les difficultés du chemin, le temps qui est nécessaire pour arriver au terme de l’étape. Il est cependant une série de paramètres non contrôlables, dont la météo et l’état général de votre moteur. Dès lors, si on a fait Roncevaux une fois, on apprend qu’il est préférable de partir plus tard, quand la horde des pèlerins s’est déjà élancée depuis longtemps sur le chemin. Non pas que la foule des pèlerins dans la montagne soit quelque chose de désagréable, mais n’est-il pas magique de pouvoir se balader presque seul dans la splendeur de la montagne nue ?

Voici, sous le soleil, plus tard dans la matinée le refuge d’Orisson, au matin d’ordinaire si bondé. Seuls quelques touristes, qui ne font pas le chemin, boivent le café à la terrasse. Les ânes ne sont plus gênés par la file des pèlerins en attente devant la porte des toilettes.

Mais, repartons dans le temps maussade. Nous sommes à 810 mètres d’altitude, étant partis de 167 mètres. Cela fait tout de même plus de 700 mètres de dénivelé dans les genoux et les articulations. Patience ! Il reste encore plus de 600 mètres d’ascension. Le prochain arrêt programmé est à la Vierge de Biakorri, à 3.7 kilomètres d’ici.
A partir du refuge d’Orisson, la pente se fait moins rude qu’auparavant. Enfin, tout est relatif sur les chemins et routes de montagne. Cela monte tout de même par endroits à plus de 15%, mais le cerveau diminue machinalement le degré de difficulté, quand c’est moins raide. Coupe-t-on ici les vieux chênes pour permettre aux vaches de voir l’herbe pousser ? Le paysage ici n’est souvent que steppe rare, avec ci et là un bosquet d’arbres, des chênes avant tout.

Section 3 : Dans la splendeur des pâturages, là-haut vers la Vierge d’Orisson.

 

Aperçu général des difficultés du parcours : dans le tronçon précédent, nous avons pris près de 500 mètres de dénivelé ; ici ce ne sera que la moitié !

Les pèlerins avancent solitaires ou en groupes, c’est selon. Quoi qu’il en soit, les paroles se font discrètes, quand la langue pend sous l’effort. N’ayez surtout pas le sentiment quand vous passez ici que le pays vous appartient. Les basques y travaillent aussi. En dessous de la route, la chênaie ne sert sans doute pas qu’à la décoration.

Mais du travail des locaux, le pèlerin ici n’en a cure. C’est plutôt son lacet qui le tarabiscote

Et la route de monter inlassablement au milieu des genêts fanés, des genévriers et des fougères. Parfois, vous êtes seul au monde. La végétation devient de plus en plus rare dans la beauté dépouillée de la montagne. Les vaches ne mangent ni les genêts ni les fougères. Les moutons aiment les genêts, mais leur préfèrent les jeunes pousses au printemps. On prétend que la nourriture à base de genêts les immunise contre les piqûres de vipères. Les fougères, ils les apprécient aussi, mais tendres, au bord des ruisseaux, non ces branches séchées par le temps et le vent. Les chèvres mangent tout, ou presque, mais elles ne pullulent pas ici.

Arrivés sur la crête, vous aurez le sentiment que le plus dur est derrière vous. Et c’est le cas, momentanément. Les pentes ne vont pas dépasser pour quelques hectomètres les 10%, avec même parfois de légers replats.

Nous sommes début septembre. Le début de l’été est marqué par la montée des troupeaux de brebis, de vaches et de chevaux dans les hauts pâturages, les estives, là où les fleurs de montagne et l’herbe sont plus riches qu’en plaine. C’est la période de la transhumance, comme en Aubrac.
 Dès juin, ici retentissent les sonnailles, qui font chanter la montagne. On choisit des bêtes calmes, brebis ou vaches qu’on affuble au cou d’une de ces petites merveilles. A partir de là, c’est du réflexe pavlovien. Le troupeau reconnaît le son de la cloche mère et que celle-là. Il va suivre la sonnaille où qu’elle aille se promener. Alors finis les embouteillages lors des montées et des descentes de l’alpage, terminée la disparition du bétail dans le brouillard. La vie des bêtes est assez simple, non ? Ces belles jeunes blondes d’Aquitaine dédaignent les genêts à leur portée. Elles savent sans doute ce qui est bon. Et elles ne sont pas à l’usine comme leurs mères en plaine. Elles, elles sont en vacances, au grand air. Ici, vous ne rencontrerez guère l’autre race de vaches du pays, qui est la Béarnaise. Ici, les paysans magnifiques leur ont laissé leurs belles cornes en forme de lyre. Les vaches ne sont pas que des tétines, bien évidemment.
La route gagne alors les Cabanes de Landarré. Nous sommes montés à 1020 mètres, 200 mètres plus haut que le refuge d’Orisson. Ces cabanes sont sans doute des refuges de bergers. Même si vous aurez parfois le sentiment que tous ces troupeaux vivent en autonomie, ce n’est pas tout à fait le cas. On sait que plus de 200 bergers font les estives dans les Pyrénées béarnaises. Vous ne les rencontrez guère et pourtant ils sont là, un peu comme les gendarmes que l’on ne voit jamais, mais qu’on rencontre presque à coup sûr quand on grille malencontreusement un feu rouge.

En face, la montagne se fait spectacle. Quand on vit dans son petit monde restreint, on a parfois le vertige de tant d’espace.

Un peu plus haut, sur un replat, (oui il y en a, mais ils sont aussi rares que les bergers), un pèlerin a posé sa bicyclette au pied d’un cairn, pour aller faire une petite sieste face aux Pyrénées. Mais oui, il y a du soleil. Il n’est qu’à considérer l’ombre que porte le vélo sur l’herbe. Pourtant, en face, les Pyrénées se fâchent. Ce n’est plus non seulement du brouillard qui monte. Cette fois, la barrière des nuages est devenue de plus en plus compacte, plus menaçante.

Et la route continue de monter dans les alpages de plus en plus nus. Ici faire de la bicyclette ne vous emmène pas plus vite à la fin de l’étape. Nous sommes partis en même temps que ce cycliste de St Jean-Pied-de-Port. Est-ce que penché sur son guidon, il a, comme le marcheur, tout loisir de plonger dans ce monde unique, presque irréel, tout nu. Parfois, un rare véhicule passe, sans doute un berger qui va voir où est passé son troupeau.
Sur une colline voisine apparaissent de petits points lumineux. Ce sont des moutons. Le berger ne doit pas y aller tous les jours. Ou alors peut-être les observe-t-il à la jumelle ? A moins que les chiens n’y veillent.
Plus haut, on devine un petit plateau, alors le pas de la marche s’accentue un peu, machinalement.

Puis, à nouveau, la pente s’adoucit dans les genêts et l’herbe rase, avec les Pyrénées, droit en face des yeux. Est-ce la clochette qui tinte, attachée au cou des chevaux qui vous annonce que vous êtes arrivés dans un monde étrange ? Un cheval avec un clochette au cou, aurait-on basculé dans un autre univers ?

Les bergers d’aujourd’hui ont quelque peu modifié les coutumes de leurs aïeux. Certes, ils arborent encore avec fierté le béret basque, mais Ils arrivent aujourd’hui en voiture, accompagnés de leur chien, le plus souvent des petits bergers des Pyrénées, avec leurs poils qui vont jusqu’à recouvrir leur face rase, ces chiens qui considèrent le troupeau comme leur famille, la protégeant des prédateurs que sont les loups ou les vautours. Ce berger a un air de famille, celui des vielles gravures du pays basque.
Puis devant soi, sur un replat, les pèlerins s’agglutinent à nouveau. La route arrive sur le rocher où repose la Vierge de Biakorri, dit aussi Vierge d’Orisson ou Vierge des Bergers. La statue se trouvait dans une école à St Jean-Pied-de-Port au XIXème siècle. Il y a maintenant plus de 60 ans, le chef de gare de la localité scella cette statue sur le rocher de Biakorri, l’endroit “où les vents courent”, comme on dit en basque, un endroit connu pour ses violents orages. Il fallait protéger les bergers et les troupeaux de la foudre et guider les pèlerins dans ces endroits perdus. Il y a quelques années, la statue de métal fut foudroyée. On lui remit sa tête. Comme les bergers ne descendaient pas tous les dimanches à la messe, le curé montait là-haut pour la célébration. Depuis, c’est devenu un pèlerinage le dimanche qui suit la fête du 15 août. On prie pour les troupeaux et pour les bergers. Songez à la religiosité du lieu, lorsque vous déballerez votre pique-nique ici.

On a beau implorer la Madone, mais le brouillard monte inlassablement du bas de la vallée.

Puis la pente s’adoucit au milieu des troupeaux de moutons sur la montagne rase. Les pâturages s’élargissent à mesure que l’on monte.

Un peu plus haut, le GR65 devient même généreux, offrant une petite descente à ses hôtes. Les pèlerins se disent alors que c’était presque idiot de s’en faire tout un plat de cette étape si redoutée.

Section 4 : Les vautours font le guet dans ces immenses parcs à moutons.

 

Aperçu général des difficultés du parcours : plus on monte, moins on prend du dénivelé ; ici, sur le tronçon, ce ne sera guère plus de 200 mètres. Un paille, quoi !


On entend alors des clochettes tintinnabuler, s’entrechoquant dans un son cristallin et aigrelet rebondissant sur la colline. Ce sont des troupeaux de chevaux qui vivent ici les estives. Dans les Pyrénées, les races de chevaux sont assez nombreuses. On trouve des pottocks, l’âme des Pyrénées, des chevaux qui vivent encore presque à l’état sauvage sur les contreforts de la montagne. Et puis, le mérens, le prince noir des Pyrénées, trotte et grimpe aussi sur les rochers, comme des chèvres. Ici, ce sont des chevaux de la race de Castillon, une autre race qui joue les filles de l’air, bardées de leurs mélodieuses sonnailles. Depuis des millénaires, les éleveurs emmènent leurs chevaux dans la montagne verdoyante pendant les estives.

Un petit raccourci dans la pelouse sèche, et le chemin retrouve la route un peu plus haut. Ici, ce sont les vacances, quasi à plat, voire en très légère montée. De petites routes goudronnées sillonnent la montagne. Celle-ci vous emmènera loin jusqu’à rejoindre l’Espagne. Suivez plutôt le flux des pèlerins qui sait presque toujours où il va.

Et le flux des pèlerins atteint le Col d’Elhursaro, à 1135 mètre d’altitude. Encore un effort pour arriver au Col Lepoeder, à deux pas de l’Espagne, qui lui a planté sa bannière 1427 mètres au-dessus du niveau de la mer.

Ici, les magnifiques Manech à tête noire en sont à la pause de midi, peints de couleur bleue, comme les indiens sur le sentier de la guerre.

Les Manech à tête rousse, avec leur abondante chevelure, sont mois présentes sur les hauts plateaux. Ce sont plutôt des animaux de traite.

Puis, la guerre s’annonce, ou du moins un rude combat qui attend le pèlerin. Sur la montagne qui se découpe à l’horizon, les légères minuscules particules d’eau ont fini de s’envoler et forment maintenant un nuage menaçant. On voit venir le temps où, en fonction de la pression ou des vents, elles vont finir par s’agréger en gouttes de pluie. Cela va exploser d’une minute à l’autre. Maintenant, le doute n’est plus permis.

Devant le pèlerin se dresse alors un petit rocher de basalte, une sorte de sentinelle avancée sur le pâturage. De loin, on devine comme des dents sur les hauteurs. Sur le pâturage, il ne reste maintenant plus que de maigres lambeaux de fleurs et de feuillages. Même les taupes sont à l’œuvre, dédaigneuses du pèlerin qui progresse dans la nudité de la steppe.
La route contourne le rocher, dans un horizon devenu soudain plus sombre. Seuls les brebis et les moutons au loin offrent encore des tâches de clarté. La montagne est encore plus belle quand elle se fait menace.

Hélas, la menace n’est pas que pour le pèlerin. Elle est aussi pour le bétail. Car un œil avisé, ou mieux encore le zoom de l’appareil photographique, révélera bien vite que les dents sur la hauteur des calcaires déchiquetés sont parfois mobiles. Une meute de vautours tient ici conseil. L’œil avisé saura aussi reconnaître que ce sont des vautours fauves, aux longues et larges ailes, avec leur tête et leur collerette blanches. Ces animaux vivent en colonie, adorent les estives, puis partent pour quelques années se dorer la pilule au soleil du sud de l‘Espagne, avant de revenir procréer dans les Pyrénées.

La présence des vautours, c’est un peu l’annonce irrémédiable d’une agonie imminente. Ils attendent patiemment l’instant où ils pourront plonger pour déchirer les entrailles encore chaudes ou les placentas des accouchées. Ces charognards sont en fait des animaux utiles. Ce sont les éboueurs de la montagne. Si seulement, ils débarrassaient aussi les sacs de plastique laissés par les alpinistes, sans les consommer bien évidemment.
Puis soudain, le conseil s’achève. Alors, les oiseaux déploient leurs grandes ailes et tournoient dans le ciel de manière lente, comme le font les vautours fauves. Auraient-ils repéré un maillon faible dans la foule des pèlerins ?
Vous plaisantez, non ? Pas si sûr que cela. Les vautours, espèce protégée, sont devenu l’ennemi No1 des bergers. Ils sont si nombreux que les charognes et leur friandise, le placenta des vaches, deviennent portion congrue. Ils s’attaquent maintenant aux bêtes vivantes, blessées ou vulnérables, quand les troupeaux ne sont pas gardés. Leur attitude a changé, et ils ne fuient plus en présence de l’homme. On a même pu lire dans la presse qu’une dame avait été poursuivie de près par une horde de vautours qu’elle dérangeait près de la carcasse d’un cheval. Bien sûr, ceci n’est pas la réalité quotidienne. Les vautours ont mieux à faire, avec tout cet étal de viande qui s’amoncelle alentour.
La route arrive alors lieudit Urdanarré, au milieu des chevaux, dans la musique de leurs sonnailles.
C’est ici que le GR65 quitte la route, qui va continuer à travers la montagne pour desservir les nombreuses cabanes de la région, sans doute des cabanes de bergers. On voit devant soi les cabanes de Larronda, plus que de vulgaires cabanes en somme. Les chevaux qui aiment la compagnie, viennent faire tinter leurs clochettes près de la foule des pèlerins qui se presse près du petit bus, rempli de boissons et de fromages de brebis, enveloppés sous vide. On n’arrête pas le progrès au sommet des Pyrénées ! Aujourd’hui, les pèlerins hésitent à faite une halte prolongée, car au-devant s’annonce le déluge.
Juste au-dessus, le GR65 passe à la Croix Thibaut. Ici, on annonce la suite du programme. Le Col de Bentarte, près de la frontière est à 1,6 kilomètres, Roncevaux à 10 kilomètres.

Depuis la Croix Thibaut, la pente se fait à nouveau très sévère, parfois à plus de 20% dans le pâturage.

D’invisibles réserves d’énergie indomptable se sont massées dans un ciel hésitant entre le noir et le blanc laiteux. Une goutte, deux gouttes…bof ! Les pèlerins, qui ont traversé presque la France entière, parfois dans des situations similaires, sont rompus au jeu. Certains déposent à la vitesse de l’éclair leur sac pour se revêtir de leur équipement de pluie. Il faut avoir quelque chose de sec à se mettre à l’arrivée de l’étape. D’autres hésitent encore.


Alors, soudain, la pluie est là, sauvage. Après une trop longue hésitation les nuages se vident de cette tension accumulée. Un déluge dégringole à grosses gouttes froides, bruyantes. Ici, pas moyen de se réfugier sous les arbres pour attendre tranquillement une éclaircie. D’abord, il n’y a plus d’arbres et le ciel est devenu uniformément noir, encre et le vent hurle. A travers les rideaux de pluie, chacun se pare avec frénésie de son équipement de survie. Là-haut, un zombie est déjà parti pour le col de Bentarte.

Alors, par un jour de beau temps, repartons de la Croix Thibaut, là où les éléments s’étaient déchaînés lors de notre dernier passage. Nous rattrapons quelques pèlerins attardés. En bas sur la colline, les vautours ont disparu. Ne sont-ils pas revenus d’Afrique cette année ou ont-ils migré ailleurs pour trouver des charognes plus avenantes ? Le vendeur de fromage de brebis, a, lui aussi, rangé ses affaires. Nous sommes dans l’après-midi aujourd’hui. Dans cet univers si majestueux et si dépouillé, on ne peut que deviner le bonheur de ces cyclistes arrivés sur un replat. Certes, ce n’est pas le Galibier, mais cela grimpe autant, quoique moins longtemps.

Pourtant, les moutons et les brebis sont toujours là. Sans doute plus les mêmes. Les fils et les filles sans doute. Dans les estives, on ne conduit en fait que des brebis taries. Plus rares sont les bergers qui traient encore les animaux sur place pour fabriquer le fromage d’alpage. Pourtant, tout le monde le sait bien, les fromages d’alpage sont plus goûteux que les formages de laiterie. La montée du lait est assez voisine chez tous les mammifères. L’homme prend plus de précautions pour la brebis que pour la vache. Il arrête de tirer sur la mamelle deux fois par jour, et alors, en espaçant les traites, le pis se tarit. La nature, quoi !

Section 5 : Ici, Roland aurait sonné du cor.

 

Aperçu général des difficultés du parcours : plus on monte, moins on prend du dénivelé ; ici, sur le tronçon, ce ne sera guère plus de 150 mètres. On touche au but, non ?

Voici ce périple dans le grand mauvais temps. 5 kilomètres de voyage dans des conditions souvent apocalyptiques. La pluie bat en toute violence sur les capuchons. L’eau ruisselle sur les fronts, s’infiltre sournoisement dans les jointures mal protégées. Pour le photographe, c’est juste le marasme. A moins de disposer d’un appareil capable de prendre des photos sous-marines, il n’est qu’une solution : ranger son matériel jusqu’au retour du beau temps. Ainsi, vous n’aurez de ce trajet que quelques rares clichés arrachés à la pluie, entre deux brèves éclaircies, au moment où il était possible de sécher un peu, à l’abri, un objectif fortement embué. Alors voici quelques images avant de gagner le Col de Leopeder, au sommet de la montagne, quand le pèlerin entre en lui-même pour mieux s’économiser.

 

Depuis la Croix Thibaut, le chemin a laissé le goudron pour monter dans un paysage incroyable, par beau temps. Et le chemin monte dans l’herbe vers le col de Bentarte, pour se trouver nez-à-nez avec une plaque d’ardoise vissée sur le rocher, qu’on appelle notamment la stèle de Roland, ou mieux la stèle du Col de Bentarte. Mais pourquoi donc ?

Ici est gravé “Ibili eta amets egin”, que les exégètes basques traduisent par “marche et rêve”. Le texte commence ainsi: “Le temps est bien maussade ce matin aux portes de Saint Jean Pied de Port et Jérôme marche. Dans la montée vers Hunto, le petit crachin se mêle sur son visage aux perles de sueur. Il disparaît bientôt, happé par le brouillard, tel un passe-muraille dans ce tunnel blanchâtre. Hors son bâton, ses chaussures et un bout d’asphalte, rien ne peut le distraire. Le silence extérieur rend ses pensées presque bruyantes. D’ailleurs, qu’importe le soleil ou la pluie, le silence ou le bruit, le jour ou la nuit la route est encore si longue qui mène à Saint Jacques en Galice. Il est bientôt 9h, ce 25 juillet et Jérôme marche toujours”.

Jusqu’ici, un sot même le comprendrait. Pour la suite, il faut faire appel à Champollion pour débrouiller la poésie cachée sous les mots. Longue vie à la poésie historique.

Le col de Bentarte n’est pas un vrai col, et personne ne sait vraiment où le situer. Ici, près de la stèle à l’obscur message ou plus loin près de la fontaine de Roland ? Qui sait ? Sand doute les géographes. Toujours est-il qu’un magnifique chemin monte en pente douce dans la lande rase ou à travers les hêtres.
En bas, l’horizon se noie dans les ravins de la vallée.
Le chemin passe sous le pic de Leizar Athéka. Une borne de granite, plantée dans les bruyères, porte le chiffre 199. Ce sont des bornes qui marquent la frontière entre la France et l’Espagne. Mes amis, nous sommes maintenant en Espagne. Plus de douanier ici, c’est l’espace Schengen. Viva España ! Une autre borne plus explicite nous indique que nous avons atteint la hauteur respectable de 1275 mètres au-dessus du niveau de la mer. Plus que 200 mètres de grimpette !
Le chemin passe alors devant la Fontaine de Roland, ouvrage dont nous n’en connaissons pas l’origine. Elle porte une simple inscription “Bidea, Iturria, Bizia”, c’est à dire “Le chemin, la fontaine, la vie”. Mais, on apprend aussi qu’il reste 765 kilomètres de marche pour gagner Santiago.
De la fontaine, le chemin s’en va à plat entre hêtres et bruyères dans un paysage rare. Une stèle annonce la Navarre. Qu’il est doux d’être ainsi renseigné perdu au bout du monde. La stèle est ancienne. Est-ce que jadis les contrebandiers utilisaient ces bornes pour être certains de ne pas se tromper de pays ? On croit rêver.
Par contre, le pèlerin d’aujourd’hui est complètement désorienté, quelques centaines de mètres plus loin, devant l’éventail de directions à pendre. Nous ne sommes plus dorénavant sur le GR65 et les panneaux de direction parlent maintenant espagnol. Par bonheur, la coquille montre la voie à suivre. On raconte dans le pays que de nombreux pèlerins se perdent toutes les années sur le chemin de Roncevaux. Mais, c’est tellement beau ici qu’on pourrait parfois avoir la tentation de s’y perdre.
Pendant des kilomètres, un magnifique chemin va onduler doucement entre hêtres, bruyères et montagne pelée. Parfois, le chemin monte, parfois il descend.
Parfois encore, il garde des séquelles de pluies récentes, si fréquentes dans les Pyrénées.
Ici, un Manech à tête rousse a dû se perdre en chemin. Que nenni ! Il a juste pris un peu de retard sur ses camarades. Lorsque le chemin n’est plus envahi par les pèlerins, les animaux retrouvent aussi une partie de leurs droits et de leur plaisir.
En bas, c’est peut-être encore la France. Mais qui sait où ? Ne sommes-nous pas en Navarre ? Rien ne ressemble plus à une colline qu’une autre colline dans cette partie douce des Pyrénées.
Plus loin, le chemin passe par un rare bosquet. Ici, les hêtres commencent à faire la loi et les chênes se taisent peu à peu. Les conifères sont presque absents de ces régions.
De temps à autre, le chemin sort du bois pour s’ouvrir sur la lande, au milieu de la bruyère. Ailleurs, ce sont les aubépines et les genévriers qui couvrent le sol. Roncesvalles ne veut-il pas dire “vallée des aubépines” en espagnol et Orreaga “vallée des genévriers” en basque ?
Lorsque le pays s’ouvre, on voit tout là-haut, dans ce paysage quasi lunaire, le chemin qui monte au col de Leopeder. Derrière la montagne, c’est Roncevaux, et en dessous dans la vallée, St Jean-Pied-de-Port, quelque part.
Puis, la pente se réduit nettement et le chemin fait une petite halte à la cabane d’Izandorre. A ces heures et dans des conditions de beau temps, la cabane est vide, cela change des temps de pluie.
Ici, il y a même des panneaux solaires. L’espagnol rencontré plus bas avec son loulou de Poméranie y passera sans doute la nuit.

Depuis la cabane, c’est la dernière rampe à gravir pour atteindre le col de Lepoeder. Un large chemin très caillouteux y va. Ici les moutons parlent espagnol, mais ce sont aussi des Manech, à tête noire pour la plupart, qui mangent la même herbe rase que leurs cousins français.
Cela peut paraître paradoxal, mais plus le chemin monte, plus la végétation se fait présente. Mais, vous comprendrez plus haut la situation. Le côté français de la montagne est pelé, le côté espagnol complètement boisé. Alors, ici, les chênes, les hêtres, et même quelques conifères jouent les vedetttes.

Section 6 : La descente souvent impitoyable vers l’Espagne.

 

Aperçu général des difficultés du parcours : peut-être la descente la plus pénible du Chemin de Compostelle, mais ce n’est pas si sûr, par beau temps du moins ; 500 mètres de dénivelé, à parfois 30% de déclivité.

Le sommet de la montagne est tout proche. Alors encore une dernière petite rampe, juste pour le plaisir.
Nous arrivons au col de Lepoeder, à 1426 mètres au-dessus du niveau de la mer. Aujourd’hui, nous nous sommes élevés de près de 1300 mètres.
Au col, c’est le luxe total, avec une borne téléphonique et le WIFI.
Juste en dessous, dans un entrelacs de panneaux de direction, il s’agit de choisir la bonne. Il y a deux chemins pour rejoindre Roncevaux. Et pour cause, la pente est d’une sévérité redoutable. Si vous suivez la coquille, vous prendrez le vrai chemin, celui indiqué par “Camino de fuertes pendientes” (Chemin de fortes pentes), et vous ne serez pas déçu. L’alternative est de suivre “Alternativa suave al Camino de Santiago” (Alternative douce au Chemin de Compostelle). Celui-ci suit le plus souvent une petite route qui descend sur Roncevaux, en passant par le Col d’Ibañeta, où elle rejoint la variante d’hiver qui vient de St Jean-Pied-de-Port. Il est très recommandé d’utiliser plutôt cet itinéraire dans de mauvaises conditions de temps, ce que nous n’avons pas fait lors de notre passage précédent sous la pluie. Pour le fun !
On a tant raconté aux pèlerins les joies et les vicissitudes de ce chemin, que la majorité d’entre eux rejette l’alternative douce pour le chemin en pente. Très rapidement, le chemin caillouteux va pénétrer dans la forêt, et ceci jusqu’à Roncevaux.
La descente sur Roncevaux est déjà une des plus difficiles du chemin de Compostelle par temps sec. Alors imaginez-la sous des trombes d’eau. Le chemin est devenu un marais de boue rouge où le pied glisse, et s’épuise. La glaise englue les semelles, ce qui appesantit la marche jusqu’à la rendre exténuante. Alors, certains, essoufflés, maudissent le ciel. D’autres se remémorent leurs vacances au soleil. Mais tous, essuient de leur main les gouttes de pluie qui s’accumulent sur leur visage et leur cachent le chemin. Le vent souffle dans les branches des hêtres et chassent des trombes d’eau qui ruissellent des feuillages vers le chemin.
Même par beau temps, c’est difficile. La pente se fait sévère (plus de 35%) sur la terre qui hésite entre le rouge et l’ocre, au milieu des hêtres plantés comme des baguettes de tambour.
Certains pèlerins prient pour que cela dure. Pour les autres, leurs genoux demandent merci.
Au bas de la grande descente, la plus vertigineuse, le chemin s’ouvre sur une magnifique clairière, avec ses bruyères disséminées dans les effleurements de calcaire.
Les deux côtés de la montagne sont assez différents. Du côté français, ce sont de grands pâturages. En Espagne, c’est la forêt qui domine. Les brebis et les moutons doivent vraisemblablement être moins nombreux de ce côté.
A la sortie de la clairière, le chemin se rapproche à nouveau de la forêt.

Plus bas, le chemin s’enfonce à nouveau dans cette forêt incroyable, une hêtraie, parmi les plus grandes d’Europe. Aucun arbre parasite n’ose pousser ici. Il n’y a plus de repères, car la forêt a remplacé le ciel.

Potentiellement quelques moutons doivent paître par ici, à la limite des clairières, derrière les fils électrifiés.
Parfois, la terre devient plus rouge, et les arbres, droits comme des colonnes, s’alignent en avenues dans les profondeurs où le regard se perd. La nuit, les lutins et les fées doivent rôder par ici.
Plus loin, le chemin remonte quelque peu. La terre devient plus humide, et les hêtres généreux laissent alors s’exprimer les fougères et les herbes folles.
La remontée du petit vallon est courte, et alors le chemin va continuer sa descente dans un terrain de plus en plus humide, souvent rouge, et dans une forêt de plus en plus luxuriante.
Le chemin se rapproche de Roncevaux, à 5 minutes. Il n’y a plus aucune raison de se perdre malgré le nombre important de directions qu’il y a ici. Viva España !

Charlemagne, le roi très chrétien, au retour d’une expédition contre les Sarrasins musulmans qui avaient pris le pouvoir en Espagne, eut à souffrir de la perfidie des Basques. Ayant imprudemment divisé son armée dans le passage des Pyrénées, il fut attaqué par les Basques, qui défirent complètement son arrière-garde engagée dans la vallée de Roncevaux. Les Basques tuèrent, après un combat opiniâtre, tous les hommes de l’arrière-garde jusqu’au dernier, incluant Roland, commandant des marches de Bretagne. Voilà pour l’histoire, ou du moins ce qu’on croit savoir. Mais, si Roland n’a historiquement qu’une médiocre importance, sa figure a pris dans la Chanson de Roland, une chanson de geste dont on ne connaît pas l’auteur, une proportion chevaleresque, héroïque. L’empereur à la barbe fleurie commande l’avant de l’armée ; l’arrière-garde est sous les ordres de son neveu Roland, le duc de Bretagne, secondé par son ami Olivier. Hélas, ils sont trahis par le comte Ganelon, ce qui permet aux Sarrasins de tendre une embuscade aux troupes franques au col de Roncevaux. Les sarrasins (en fait les basques) laissent passer le roi et le gros de l’armée, mais ils foncent sur l’arrière-garde. Les douze francs se battent comme des beaux diables. Roland fait le spectacle avec Durandal, son épée légendaire. Mais, ils tombent l’un après l’autre. Sur les sages conseils d’Olivier, Roland souffle de toutes ses forces dans son cor, qui résonne jusqu’à sept lieues, pour appeler Charlemagne à l’aide. En vain. Devant la situation désespérée, il se résout à briser son épée, pour ne pas qu’elle tombe entre les mains de l’ennemi. Mais l’épée est trop solide, et elle fait voler en éclats les rochers sur lesquels Roland tente de la fracasser. C’est la brèche de Roland, une gigantesque faille, de plus de 50 mètres de hauteur, que l’on peut encore voir dans les Pyrénées ! Voyant que l’épée ne se casserait pas, il l’aurait jetée de toutes ses forces jusqu’à Rocamadour dans le Lot. Ben, voyons ! Charlemagne a bien entendu le cor de Roland. Il fait demi-tour, mais quand il arrive, il est trop tard. Tous les preux sont morts sous les coups des Infidèles.

Personne ne sait bien définir où se sont passés précisément ces événements historiques. Le chemin de Compostelle ne passe pas par le Col de Roncevaux, dit aussi col d’Ibañeta. Si vous prenez le chemin d’hiver, vous passerez par ce col. Celui-ci est sur la route qui va de St Jean-Pied-de-Port à Roncevaux. Mais la légende est bien passée par là. Depuis, on a érigé des monuments, un peu partout dans le pays à la mémoire des preux chevaliers.

Roncevaux (Orreaga en basque, Roncesvalles en espagnol) est grand comme un mouchoir de poche, mais les édifices sont gigantesques. A Roncevaux, la stèle de Roland fait face au magnifique hôtel Roncesvalles et à l’entrée de la Collégiale. Ce discret monument commémore la bataille, où la pierre fendue symbolise la brèche, à côté de bas-reliefs de bronze racontant la légende.

Il ne fait guère de doute que le col d’Ibañeta fut de tous temps un passage aisé pour traverser les Pyrénées, étant donné sa faible altitude (1057 mètres). Il ne fait guère de doute non plus qu’il y ait eu en cet endroit une chapelle, puis plus tard un hôpital. Au début du XIIème siècle on transféra le tout à Roncevaux, dans un endroit plus accueillant. C’est la date de naissance de la collégiale, qui fut confiée à des chanoines de l’ordre de St Augustin. On transforma l’église et au XIIIème siècle, l’église collégiale de Roncevaux, depuis gothique, était devenue un site incontournable pour les pèlerins. Vers la fin du XVème siècle, on distribuait ici des dizaines de milliers de repas par année. Puis ce fut le déclin, les révolutions, les guerres. Roncevaux était promis à la ruine. En 1844, on parla même de vendre l’abbaye. Il a fallu le regain de popularité du pèlerinage à la fin du siècle dernier et l’ardeur des navarrais pour faire de ce lieu un nouveau mythe. C’est d’ici que part le Camino francés vers Santiago.

C’est en 1982 que le monastère, aujourd’hui sécularisé, a été rouvert pour l’accueil des pèlerins. C’est un gîte gigantesque, qui peut accueillir jusqu’à 300 pèlerins.

Jouxtant la Collégiale, se trouve la petite église de St Jacques, dite aussi Eglise des Pèlerins, un petit édifice rectangulaire de pierre grise. On dit que la cloche proviendrait de l’ancienne chapelle du col d’Ibañeta.

La chapelle St Esprit, juste à côté, dit aussi Silo de Charlemagne, serait la plus ancienne construction ici, datant du XIIème siècle. Cette chapelle romane avait une vocation funéraire. On dit que Charlemagne aurait fait enterrer ici les 12 pairs morts au combat, dont Roland. Au cours des siècles, elle a plutôt servi de fosse commune ou alors de lieu de sépulture pour les pèlerins décédés sur le Chemin.

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Etape suivante : Etape1b: St Jean Pied-de-Port à Roncevaux par le chemin d’hiver
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